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les couples d’oiseaux conversent au fond des bois touffus, moi, je poursuis dans les déserts un fantôme qui m’échappe.

« On l’appelait Chryso, elle était jeune et belle : à quoi lui ont servi la beauté, la jeunesse en face de l’injuste Parque ? L’impitoyable Charon, ce froid chasseur, la vit et la prit.

« O vous qui l’avez connue, sources, forêts, oiseaux et fleurs, ne dites pas que je suis insensible, si vous me voyez encore de ce monde à travers lequel je me traîne comme un spectre. Je voudrais mourir, car la vie est un tourment, et la mort une fête.

« Charon l’entendit : les amandiers n’ont pas encore refleuri dans les champs, et déjà le jeune homme dort sous la terre près de Chryso.

« Deux arbres mystérieusement accouplés ombragent cette double tombe, et lorsque le vent passe, ils s’inclinent l’un vers l’autre comme pour un baiser. »


L’œuvre capitale de Zalokostas, celle qui lui a coûté le plus d’efforts et qui a le plus contribué à sa renommée, est un poème intitulé : Armatoles et Klephtes. L’antagonisme du klephte et de l’armatole ne fut pas une des moindres calamités que la Grèce asservie eut à subir. L’armatole était une sorte de grand feudataire, institué pour la première fois sous le règne de Soliman II et chargé d’administrer dans de certaines limites les terres soumises à sa juridiction, de veiller à la sûreté des routes, de maintenir la tranquillité du pays, de réprimer la continuelle effervescence des populations chrétiennes. Sa charge était héréditaire. Le but de cette institution avait été de donner une sorte de satisfaction au sentiment national du peuple conquis : satisfaction illusoire, car, pour conserver ses biens et sa dignité, l’armatole se voyait forcé de pactiser sans cesse avec l’oppresseur. Quand il était las de servir les Turcs, ou qu’il avait quelque injure à venger, il se faisait klephte. Ce dernier était au contraire l’homme libre par excellence, l’ennemi juré de tout ce qui tenait au conquérant de près ou de loin. Le klephte et l’armatole se trouvaient donc sans cesse aux prises ; par malheur, il arrivait souvent que l’un sous le prétexte de la tranquillité publique, et l’autre sous celui de la liberté, cachaient des querelles particulières et ne cherchaient qu’à terminer les armes à la main d’antiques haines de famille. Ils entretenaient ainsi une sorte de guerre civile presque aussi funeste au pays que la domination musulmane elle-même. Cette période de l’histoire des Grecs est fort obscure ; elle ne nous est guère connue que par la poésie populaire, qui, fidèle interprète du sentiment national, jette un romanesque intérêt sur le klephte, vaillant, généreux, indompté, fuyant l’oppression dans le désert et préférant la compagnie des aigles et des loups à celle des Turcs. Zalokostas a puisé, dans le souvenir traditionnel de ces dissensions intestines, le sujet de son meilleur et dernier poème. Il le dédie aux