On voit maintenant combien les chants inspirés à Zalokostas par la pensée de la mort devaient répondre au sentiment populaire : ceux où il célébrait les joies du combat ne rencontraient pas de moins nombreux échos ; mais faut-il le suivre pas à pas sur tous les champs de bataille où il a servi, le mousquet à la main, la cause de l’indépendance ? Selon les chances capricieuses de la guerre, Zalokostas passe sans cesse de la Roumélie en Morée, de la Morée en Roumélie, un jour poursuivant les Turcs, et l’autre poursuivi par eux, errant tout à la fois en trouvère et en paladin, se battant toute la journée, et le soir charmant ses compagnons d’armes par la peinture de leurs propres exploits. Tantôt il fuit dans les montagnes, sans ressources et presque découragé ; tantôt il entre victorieusement dans une ville, chantant une ode à la liberté. Sans entrer dans tous les détails de sa vie militaire, on peut en rapporter cependant ici les épisodes les plus saillans. À la tête de quelques partisans déterminés, Zalokostas guerroyait en Étolie vers la fin de l’année 1824. Surpris un jour par une nombreuse troupe de Turcs, près du village de Machala, il n’hésita point à accepter la bataille. Presque au début de l’action, il vit tomber à ses côtés un jeune homme du nom de Nasos, auquel il avait voué une amitié toute particulière. Les périls de ce combat inégal ne l’empêchèrent pas de rendre à son ami les derniers devoirs. Il lui ferma les yeux, tourna son visage du côté de l’orient, et jeta sur son cadavre la cape de poils de chèvre que portent les Albanais. Il allait s’éloigner, lorsqu’une jeune femme, que le pauvre Nasos avait épousée quelques jours auparavant, accourut cherchant partout son mari dans la mêlée. Zalokostas se contenta de lui montrer du doigt le manteau qui couvrait le cadavre. À ce signe, la jeune femme éperdue se jette sur le corps inanimé de Nasos, couvre ses lèvres de baisers, et, saisissant le sabre que le mort tenait encore dans sa main crispée, elle veut mettre fin à ses jours. Zalokostas l’arrête, lutte un instant avec elle et parvient à la désarmer ; mais, pendant ce court espace de temps, il avait été séparé du reste de sa troupe : une nuée d’ennemis l’environne, il est fait prisonnier et conduit dans la forteresse de Vrachori[1]. La nuit suivante, ayant réussi à ébranler l’un des barreaux de la fenêtre étroite de sa prison, il fixa solidement à l’autre l’extrémité de la ceinture démesurément longue qu’il portait autour de la taille, et qui fait partie du costume des pallikares ; puis il se laissa glisser le long de la muraille. Il ne put atteindre le sol qu’en se laissant tomber d’une assez grande hauteur ; le bruit de sa chute réveilla une sentinelle qui fit feu au hasard, et qui donna ainsi l’alarme à toute la garnison. Le jour
- ↑ Ville principale de l’Étolie.