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femmes qui font métier de sorcellerie et prétendent posséder la science mystérieuse de l’interprétation des songes. Les gens du peuple ont à ce sujet une foule de croyances singulières. De même qu’ils s’imaginent que l’eau de certaines sources, qu’ils appellent agiasma, et devant lesquelles ils ne s’arrêtent jamais sans y plonger la tète, a la vertu de prévenir ou de guérir les maladies, ils croient aussi que l’ombre de certains arbres fait naître des songes tristes ou sourians, qu’il est des lieux, consacrés depuis plusieurs siècles par la superstition, où il faut aller dormir pour connaître l’avenir d’une façon certaine, et lorsqu’un pressentiment les tourmente ou qu’une inquiétude vague les agite, ils vont passer la nuit dans une église, afin de procurer à leur sommeil quelque apparition rassurante.

Le lendemain donc, le pacha, comptant sur la perfide promesse de l’ombre, livra de nouveau bataille ; mais la poignée de braves renfermée dans les murailles du khan sortit triomphante de cette lutte inégale. Les vainqueurs n’eurent qu’une seule perte à déplorer, et le poète rend ce touchant hommage à l’unique victime de cette chaude affaire :


« Il est minuit ; la lune et son cortège d’étoiles éclairent le sombre firmament ; tout est silencieux ; dans le lointain seulement, quelques détonations attardées troublent encore les échos.

« Il est minuit ; les klephtes, sans rien dire, creusent les froides entrailles de la terre ; ils ensevelissent un de leurs compagnons. Nulle fleur ne servira d’oreiller à sa tête, nulle branche verdoyante n’invitera les oiseaux à venir chanter près de lui.

« Sur cette tombe, l’encens ne brûle point ; le psaume des morts ne répand pas sa triste mélodie ; je n’entends pas non plus, ô vaillant Caplani, les gémissemens de ta mère ! »


Cette dernière scène, pleine de charme et de poésie, jette une ombre de douce tristesse sur ce petit drame militaire, qu’elle termine fort naturellement, car les klephtes avaient coutume d’ensevelir leurs morts sur le champ de bataille même, et pour ne point faillir à l’accomplissement de ce devoir, ils s’exposèrent plus d’une fois à voir leur triomphe se changer en défaite, grâce au retour subit d’un ennemi plus nombreux. La privation de sépulture est aux yeux des Grecs la plus lamentable des infortunes ; la condition des corps non ensevelis, exposés aux intempéries de l’air et à l’avidité des bêtes sauvages, excite en eux plus de terreurs que la mort elle-même. Ils croient que les âmes des malheureux dont le corps n’a point eu de funérailles errent éternellement au fond des solitudes, le long des fleuves, sur les bords de la mer, implorant sans cesse des prières, impuissantes d’ailleurs à terminer leur supplice. De leur côté, les Turcs ne manquaient jamais de trancher la tête aux cadavres