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On ne sut pas ce jour-là, ni le lendemain, qu’il était parti. Le troisième jour seulement, Laguerre reçut de lui une lettre, datée de Saint-Étienne, qui paraissait assez gaie, et où il lui disait qu’il voulait voir les usines du Forez pour s’instruire de certains procédés, et tenter de se les approprier. Un autre jour il écrivit à Gaucher, et enfin à Tonine elle-même.

« Ma chère voisine, lui disait-il, permettez-moi de vous écrire pour vous présenter mes devoirs et vous recommander mon cher parrain, envers qui déjà vous avez été si bonne. Forcé de m’absenter pour un temps, et voulant me donner tout entier aux affaires, chose que je n’aurais jamais pu ni voulu exécuter, si vous n’étiez pas pour mon parrain une amie sans pareille, j’éprouve le plaisir de vous remercier pour tout le bien que vous lui avez fait ainsi qu’à moi, et désire que vous sachiez que je n’ai aucune rancune sur le cœur contre vous ni contre personne, souhaitant la conservation de votre estime, comme je vous prie de croire à celle de mon respect.

« Votre serviteur et ami,

« Étienne Lavoute, dit Sept-Épées. »

Tonine crut que celui qui avait pu écrire une pareille lettre avait le cœur tranquille et l’esprit plus que jamais rempli d’idées positives. Elle s’en réjouit avec Lise, sans pouvoir se sentir bien joyeuse au fond de l’âme. Elle n’en continua pas moins, pendant deux jours encore, à faire des projets et à se laisser complimenter sur son grand mariage par une foule d’amis à qui ses amis avaient confié la chose. Ses nombreux amoureux n’en étaient pas trop contens ; mais de quel droit l’eussent-ils blâmée ? elle n’avait jamais encouragé aucune espérance. On ne pouvait pas dire qu’elle manquât de modestie en recevant les félicitations, et on lui savait un gré infini de n’avoir pas voulu quitter la Ville-Noire.

Cependant elle était à la veille du huitième jour, du jour où elle devait rendre réponse à M. Anthime, et où elle lui avait permis de se rencontrer avec elle chez les Gaucher, sur les deux heures de l’après-midi ; mais voilà que la veille elle fut prise tout à coup d’un grand ennui, et que tous ses projets d’aisance et de gloire ne lui parurent plus rien. À force de songer à tout ce que ce mariage lui promettait d’agréable et d’honorable, elle en avait épuisé la douceur et la nouveauté.

— Ne me parle plus de la maison, ni du bassin, ni des camélias, dit-elle à Lise, à qui elle parut ce soir-là bien capricieuse. Je suis déjà lasse de la possession de tant de belles choses dont, à vrai dire, je n’ai pas grand besoin, et dont je me dégoûterai certainement très vite, puisque ma cervelle en est déjà rassasiée par avance. Ce que