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forme y est presque antique, et la pensée se rapproche sensiblement du génie de la poésie moderne.

Une grande fête académique célébrée par les Athéniens offre chaque année aux voyageurs qui parcourent la Grèce l’occasion de reconnaître le caractère tout national de la nouvelle poésie hellénique. Chaque année, l’académie d’Athènes ouvre un concours poétique, et elle décerne un prix, fondé par l’opulent patriote Ambroise Ralli, au poète dont l’œuvre est jugée la plus remarquable par l’invention et la plus propre à ramener la langue à sa pureté première. Le jour fixé pour la clôture solennelle de ce concours est le 25 mars, anniversaire de la proclamation de l’indépendance hellénique. Ce jour-là, Athènes tout entière est en mouvement : toutes les classes de la société montrent un empressement égal ; les cafés et les bazars sont déserts ; les places sont encombrées par la foule, qui gesticule, crie, discute avec l’emportement naturel à ce peuple. Après la lecture d’un rapport sur les diverses productions soumises au concours, le président proclame le vainqueur, le félicite au nom de la nation, récite à haute voix ses vers, et pose sur son front une couronne de laurier. Au sortir de la séance, le poète couronné est accueilli par les acclamations de la foule et reporté chez lui presqu’en triomphe. On ne peut se faire une idée des querelles et des tempêtes qui jusqu’au dernier moment agitent ce grand débat littéraire.

Les poètes athéniens de nos jours sont donc animés de la même ambition qui poussait les grands poètes du passé à rechercher avant tout les suffrages populaires. Leurs accens s’adressent, non point à une classe privilégiée de lettrés et de savans, mais à la nation tout entière, et c’est d’elle seule qu’ils attendent la récompense et le prix de leurs travaux. Le gouvernement du roi Othon, absorbé par d’autres soins, n’a point encore songé à aider les poètes de son concours : sauf la fondation Ralli, Athènes n’a point d’institution destinée à protéger les lettres ; cette indifférence du pouvoir laisse du moins aux écrivains une indépendance qui maintient en eux dans toute sa vigueur primitive l’énergie du sentiment patriotique et populaire, source féconde de leurs inspirations. Une autre condition. rapproche en Grèce les poètes du peuple ; c’est la modicité même du prix de leurs ouvrages, qui obtiennent ainsi une circulation des plus rapides. Ce n’est pas seulement pour les lire qu’on les achète, mais pour en apprendre par cœur les plus remarquables passages. Que de fois, pendant mes courses à l’intérieur de la Grèce, dans un caravansérail enfumé, n’ai-je pas entendu des artisans, des marchands, des voyageurs de la plus médiocre apparence, déclamer à tour de rôle les plus belles tirades de quelque récent poème, après avoir chanté les vieilles romances de leurs improvisateurs ! Le peuple