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heureuse nuit, est à vous et à moi. » A côté de cette tragédie sensuelle, l’intrigue comique, poussée jusqu’aux familiarités les plus lestes, étale l’amour d’un cavalier pour une femme mariée qui à la fin se trouve être sa sœur. Dryden ne trouve dans ce dénoûment rien qui froisse son cœur. Il a perdu jusqu’aux plus vulgaires répugnances de la pudeur naturelle. Quand il traduit une pièce hasardée, Amphitryon par exemple, il la trouve trop modeste ; il en ôte les adoucissemens, il en alourdit le scandale. « Le roi et le prêtre, dit son Jupiter, sont en quelque manière contraints par convenance d’être des hypocrites bien masqués. » Là-dessus, le dieu étale crûment son despotisme. Au fond, ses sophismes et son impudence sont pour Dryden un moyen de décrier par contre-coup les théologiens et leur Dieu arbitraire. « Un pouvoir absolu, dit Jupiter, ne peut faire de mal. Je n’en puis faire à moi-même, puisque c’est ma volonté que je fais, ni aux hommes, puisque tout ce qu’ils ont est à moi. Cette nuit, je jouirai de la femme d’Amphitryon, car lorsque je la fis, je décrétai que mon bon plaisir serait de l’aimer. Ainsi je ne fais point de tort à son mari, car je me suis réservé le droit de l’avoir tant qu’elle me plairait. » Cette pédanterie ouverte se change en luxure ouverte sitôt qu’il voit Alcmène, Nul détail n’est omis : Jupiter lui dit tout, et devant les suivantes, et le lendemain, quand il sort, elle fait pis que lui, elle s’accroche à lui, elle entre dans des peintures intimes. Toutes les façons royales de la haute galanterie ont été arrachées comme un vêtement incommode. C’est le sans-gêne cynique au lieu de la décence aristocratique. C’est une scène d’après Charles II et la Castlemaine au lieu d’une scène d’après Louis XIV et Mme de Montespan.

J’en passe plusieurs : Crowne, l’auteur de Sir Courtly Nice ; Shadwell, l’imitateur de Ben Jonson ; mistress Afra Behn, qui se fit appeler Astrée, espion et courtisane, payée par le gouvernement et par le public. Etheredge est le premier qui, dans son Homme à la mode, donne l’exemple de la comédie imitative et peigne uniquement les mœurs d’alentour, « du reste franc viveur et contant librement ses habitudes[1]. » « Pourchasser les filles, hanter le théâtre, ne songer à rien toute la journée, et toute la nuit aussi, direz-vous : » c’étaient là ses occupations à Londres. Plus tard, à Ratisbonne, « il fait de graves révérences, converse avec les sots, écrit des lettres insipides, » et se console mal avec les Allemandes. C’est avec ce sérieux qu’il prenait ses fonctions d’ambassadeur. Mais le héros de ce beau monde fut William Wycherley, le plus brutal des écrivains qui aient sali le théâtre. Envoyé en France pendant la révolution, il s’y fit papiste, puis au retour abjura, puis à

  1. Lettre à lord Middleton.