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soupers, l’impudence des scènes aventurées jusqu’aux démonstrations physiques, les chansons risquées, les gueulées[1] lancées et renvoyées parmi des tableaux vivans, toute cette orgie représentée remue les coureurs d’intrigues par l’endroit sensible. Et par surcroît le théâtre consacre leurs mœurs. À force de ne représenter que des vices, il autorise leurs vices. Les écrivains, posent en règle que toutes les femmes sont des drôlesses, et que tous les hommes sont des brutes. La débauche entre leurs mains devient une chose naturelle, bien plus, une chose de bon goût ; ils la professent. Rochester et Charles II pouvaient sortir du théâtre édifiés sur eux-mêmes, et convaincus comme ils l’étaient que la vertu n’est que la grimace des coquins adroits qui veulent se vendre cher.

Dryden, qui un des premiers[2] entre dans cette voie, n’y entre pas résolument. Une sorte de fumée lumineuse, reste de l’âge précédent, plane encore sur son théâtre. Sa riche imagination le retient à demi dans la comédie romanesque. Un jour il arrange le Paradis de Milton, la Tempête et le Troïlus de Shakspeare. Un autre jour, dans l’Amour au Couvent, dans le Mariage à la mode, dans le Faux Astrologue, il imite les imbroglios et les surprises espagnoles. Il a tantôt des images éclatantes et des métaphores exaltées comme les vieux poètes nationaux, tantôt des figures cherchées et de l’esprit pointillé comme Calderon et Lope. Il mêle le tragique et le plaisant, les renversemens de trônes et les peintures de mœurs ; mais dans ce compromis maladroit l’âme poétique de l’ancienne comédie a disparu : il n’en reste que le vêtement et la dorure. L’homme nouveau se montre grossier et immoral, avec ses instincts de laquais sous ses habits de grand seigneur, d’autant plus choquant que Dryden en cela contrarié son talent, qu’il est au fond sérieux et poète, qu’il suit la mode et non sa pensée, qu’il fait le libertin par réflexion, et pour se mettre au goût du jour. Il polissonne maladroitement et dogmatiquement ; il est impie sans élan, en périodes développées. Un de ses galans s’écrie : « Est-ce que l’amour sans le prêtre et l’autel n’est pas l’amour ? Le prêtre est là pour son salaire, et ne s’inquiète pas des cœurs qu’il unit. L’amour seul fait ce mariage. » « Je voudrais, dit Hippolyte, qu’il y eût un bal en permanence dans notre cloître, et que la moitié des jolies nonnes y fût changée en hommes pour le service des autres. » Nuls ménagemens, nul tact. Dans son Moine espagnol, la reine, assez honnête femme, dit à Torrismond qu’elle va faire tuer le vieux roi détrôné pour l’épouser, lui Torrismond, plus à son aise. Bientôt on leur annonce le meurtre : « Maintenant, dit la reine, marions-nous. Cette nuit, cette

  1. Mot de Le Sage.
  2. Son Wild Gallant est de 1602. Voyez, sur Dryden, la Revue du 1er décembre 1858.