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réduit à la combinaison de quelques notions simples qui, s’ajoutant les unes aux autres ou se retranchant les unes des autres, forment sous des noms divers des totaux ou des différences dont on suit toujours la génération et les élémens. Il a pratiqué d’avance la méthode de Condillac, remontant dès l’abord au fait primordial, tout palpable et sensible, pour suivre de degré en degré la filiation et le parentage des idées dont il est la souche, en sorte que le lecteur, conduit de chiffre en chiffre, peut à chaque moment justifier l’exactitude de son opération et vérifier la valeur de ses produits. Un pareil instrument logique fauche à travers les préjugés avec une raideur et une hardiesse d’automate. Hobbes déblaie la science des mots et des théories scolastiques. Il raille les quiddités, il écarte les espèces sensibles et intelligibles, il rejette l’autorité des citations[1]. Il tranche avec une main de chirurgien dans le cœur des croyances les plus vivantes. Il nie que les livres de Moïse, de Josué et des autres soient de leurs prétendus auteurs. Il déclare que nul raisonnement ne réussit à prouver la divinité de l’Écriture, et qu’il faut à chacun pour y croire une révélation surnaturelle et personnelle. Il renverse en six mots l’autorité de cette révélation et de toute autre : « Dire que Dieu a parlé en rêve à un homme, c’est dire simplement qu’il a rêvé que Dieu lui parlait. Dire qu’il a vu une vision ou entendu une voix, c’est dire qu’il a eu un rêve qui tenait du sommeil et de la veille. Dire qu’il parle par une inspiration surnaturelle, c’est dire qu’il trouve en lui-même un ardent désir de parler, ou quelque forte opinion pour laquelle il ne peut alléguer aucune raison naturelle et suffisante. » Il réduit l’homme à n’être qu’un corps, l’âme à n’être qu’une fonction, Dieu à n’être qu’une inconnue. Toutes ses phrases sont des équations ou des réductions mathématiques. En effet, c’est aux mathématiques qu’il emprunte son idée de la science ; c’est d’après les mathématiques qu’il veut réformer les sciences morales : c’est le point de départ des mathématiques qu’il donne aux sciences morales, lorsqu’il pose que la sensation est un mouvement interné causé par un choc extérieur, le désir un mouvement interne dirigé vers un corps extérieur, et lorsqu’il fabrique avec ces deux notions combinées tout le monde moral. C’est la méthode des mathématiques qu’il donne aux sciences morales, lorsqu’il pose comme les géomètres deux idées simples qu’il transforme par degrés en idées plus complexes et qu’avec la sensation et le désir il compose les passions, les droits et les institutions humaines, comme les géomètres avec la ligne courbe et la ligne droite composent les polyèdres les plus compliqués. C’est l’aspect des mathématiques qu’il a donné aux sciences morales,

  1. « Si l’on veut respecter l’antiquité, c’est l’âge présent qui est le plus vieux. »