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se mettent à courir comme au carnaval. Le jour où la flotte hollandaise brûla les navires anglais dans la Tamise, il soupait chez la duchesse de Monmouth et s’amusa à poursuivre un phalène. Au conseil, pendant qu’on exposait les affaires, il jouait avec son chien. Rochester et Buckingham l’injuriaient de reparties insolentes ou d’épigrammes dévergondées ; il s’emportait et les laissait faire. Il se prenait de gros mots avec sa maîtresse publiquement ; elle l’appelait imbécile, et il l’appelait rosse. Il revenait de chez elle le matin, « si bien que les sentinelles elles-mêmes en parlaient[1]. » Il se laissait tromper par elle aux yeux de tous ; une fois elle prit deux acteurs, dont un saltimbanque. Au besoin, elle lui chantait pouille. « Le roi a déclaré qu’il n’était pas le père de l’enfant dont elle est grosse en ce moment ; mais elle lui a dit : « Le diable m’emporte ! vous le reconnaîtrez. » Là-dessus, il reconnaissait l’enfant, et prenait pour se consoler deux actrices. Quand arriva sa nouvelle épouse, Catherine de Bragance, il la séquestra, chassa ses domestiques, la brutalisa pour lui imposer la familiarité de sa drôlesse, et finit par la dégrader jusqu’à cette amitié. Le bon Pepys, en dépit de son cœur monarchique, finit par dire : « Ayant entendu le duc et le roi parler, et voyant et observant leurs façons de s’entretenir, Dieu me pardonne, quoique je les admire avec toute l’obéissance possible, pourtant plus on les considère et on les observe, moins on trouve de différence entre eux et les autres hommes, quoique, grâce en soit rendue à Dieu, ils soient tous les deux des princes d’une grande noblesse et d’un beau naturel ! » Il avait vu, un jour de fête, Charles II conduire miss Stewart dans une embrasure de croisée, « et la dévorer de baisers une demi-heure durant, à la vue de tous. » Un autre jour, « le capitaine Ferrers lui dit qu’un mois auparavant, dans un bal de la cour, une dame en dansant laissa tomber un enfant. » On l’emporta dans un mouchoir, « et le roi l’eut dans son cabinet environ une semaine, et le disséqua, faisant à son endroit de grandes plaisanteries. » Ces gaietés de carabin par-dessus ces aventures de mauvais lieu donnent la nausée. Les courtisans suivaient l’élan. Miss Jennings, qui devint duchesse de Tyrconnel, se déguisa un jour en vendeuse d’oranges, et cria sa marchandise dans les rues. Pepys raconte des fêtes où les seigneurs et les dames se barbouillaient l’un à l’autre le visage avec de la graisse de chandelle et de la suie, « tellement que la plupart d’entre eux ressemblaient à des diables. » La mode était de jurer, de raconter des scandales, de s’enivrer, de déblatérer contre les prêtres et l’Écriture, de jouer. Lady Castlemaine en une nuit perdit 25,000 liv. sterl. Le duc de Saint-Albans, aveugle, à quatre-vingts ans, allait au tripot, avec un domestique à côté

  1. Pepys.