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bellit que ce qui est beau, et pour que mon mariage le soit, il faut que j’aime mon mari !

— Tu l’aimeras ! dit la Lise.

— J’y ferai mon possible, car il mérite de ma part beaucoup d’estime et de reconnaissance. Pourtant…

— Pourtant quoi ? Il n’est pas vilain garçon ; il se tient très proprement, il est jeune et il n’a pas l’air commun. Et puis il est amoureux pour de bon, celui-là ! Quand on se voit aimée si honnêtement, il est impossible qu’on n’aime pas de tout son cœur !

— Tu crois, Lise ?… Oui, ça doit être comme tu dis ! Pourtant il me semble tout drôle d’aimer un homme que je connais si peu ! Et puis j’ai comme un poids sur le cœur ; je ne sais pas ce que c’est.

— Est-ce que tu penses encore à Sept-Épées ?

— Non, certes ; mais je n’aimerais pas un bonheur qui ferait sa peine. Je voudrais être bien sûre qu’il sera content d’épouser Clarisse.

— Tu te fais trop de scrupule ! Sept-Épées sera riche, ça console de bien des idées qu’on se faisait !

— Et peut-être qu’il n’a pas d’autre souci que la peur de me désoler ! Allons, Dieu fasse qu’il se marie bientôt et qu’il ne regrette rien ! Moi, je serai peut-être heureuse, qui sait ?

— Oui, oui, reprit Lise ; tu as bien assez pensé aux autres, il est temps que tu songes un peu à toi-même.

Elle embrassa Tonine et se retira sans voir Sept-Épées, qui se baissa dans l’obscurité au moment où elle passa près de lui.

Il resta là une heure, vingt fois sur le point de frapper et de dire à Tonine : — Ne vous mariez pas, j’en mourrais ! — Mais cette conduite lui parut indigne d’un homme de cœur, et, pour résister à la tentation, il s’enfuit dans la montagne.

Là, il s’abandonna à sa douleur et marcha toute la nuit comme un fou ; puis il se calma et réfléchit. Il sentit que Tonine avait le droit de se venger de lui par un bon mariage, et qu’elle avait pourtant si peu l’idée de la vengeance qu’avant tout elle se tourmentait du chagrin qu’elle risquait de lui causer. Tonine était bonne, et surtout bonne pour lui, prête à sacrifier tout ce qui pouvait, tout ce qui devait lui plaire dans l’offre d’Anthime plutôt que de briser le cœur d’un ami coupable et malheureux. Il voyait bien qu’il n’avait qu’un mot à dire pour qu’elle renonçât à ce bel établissement, à la vie de dame charitable pour laquelle elle semblait réellement être née, aux plaisirs innocens qui seuls pouvaient éveiller sa convoitise, à la petite maison reflétée dans l’eau tranquille sous les aunes et les saules pleureurs, au camélia panaché de rose et de blanc, au droit de porter un chapeau, et de s’en affranchir par raffinement de goût et de fierté plébéienne. Sept-Épées voyait clair dans tout cela. Tonine ne