Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quelle vertu romaine ! Et de peur de n’être pas cru, il insiste. « Quiconque connaîtra le chancelier croira qu’il a dit tout cela de tout son cœur. » Il n’est pas encore content, il répète son avis, il s’adresse au roi avec toute sorte de raisons concluantes pour obtenir qu’on tranche la tête à sa fille. « J’aimerais mieux me soumettre à son déshonneur et le supporter en toute humilité que le voir réparé par son mariage, pensée que j’exècre si fort que je serais bien plus content de la voir morte avec toute l’infamie qui est due à sa présomption ! » Voilà comment, en cas difficile, un homme garde ses traitemens et sa simarre. Sir Charles Berkeley, capitaine des gardes du duc d’York, fit mieux encore ; il jura solennellement « qu’il avait couché » avec la jeune fille, et se dit prêt à l’épouser « pour l’amour du duc, quoique sachant le commerce du duc avec elle. » Puis un peu après il avoua qu’il avait menti, mais en tout bien, tout honneur, afin de sauver la famille royale de cette mésalliance. Ce beau dévouement fut payé ; il eut bientôt une pension sur la cassette et fut créé comte de Falmouth. Dès l’abord, la bassesse des corps publics avait égalé celle des particuliers. La chambre des communes, tout à l’heure reine, encore pleine de presbytériens, de rebelles et de vainqueurs, vota « que ni elle ni le peuple d’Angleterre ne pouvaient être exempts du crime horrible de rébellion et de sa juste peine, s’ils ne s’appliquaient formellement la grâce et le pardon accordés par sa majesté dans la déclaration de Breda. » Puis tous ces héros allèrent en corps se jeter avec contrition aux pieds sacrés de leur monarque. Dans cet affaissement universel, il semblait que personne n’avait plus de cœur. Le roi se fait le mercenaire de Louis XIV, et vend son pays pour une pension de 200,000 livres. Des ministres, des membres du parlement, des ambassadeurs reçoivent l’argent de la France. La contagion gagna jusqu’aux patriotes, jusqu’aux plus purs, jusqu’aux martyrs. Lord Russell intrigua avec la cour de Versailles ; Algernon Sidney accepta 500 guinées. Ils n’ont plus assez de goût pour garder un peu d’esprit, ils n’ont plus assez d’esprit pour garder un peu d’honneur.

Si vous regardez l’homme ainsi découronné, vous y retrouverez d’abord les instincts sanguinaires de la brute primitive. Un membre de la chambre, des communes, sir John Coventry, avait laissé échapper une parole qu’on prit pour un blâme des galanteries royales. Le duc de Monmouth, son ami, le fit assaillir en trahison, sur l’ordre du roi, par d’honnêtes gens dévoués, qui lui fendirent le nez jusqu’à l’os. Un scélérat, Blood, avait tenté d’assassiner le duc d’Osmond et poignardé le gardien de la Tour pour voler les diamans de la couronne. Charles II, jugeant cet homme intéressant et distingué dans son genre, lui fit grâce, lui donna un domaine en Irlande, l’admit dans sa familiarité face à face avec le duc d’Osmond,