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semblent sortir du lit ; le peignoir froissé colle sur la gorge, et semble défait par une nuit de débauche ; la robe de dessous, toute chiffonnée, tombe sur les hanches ; les pieds froissent la soie qui chatoie et luit. Toutes débraillées qu’elles sont, elles se parent insolemment d’un luxe de filles : ceintures de diamans, dentelles bouillonnantes, splendeur brutale des dorures, profusion d’étoffes brodées et bruissantes, coiffures énormes, dont les boucles et les torsades enroulées et débordantes provoquent le regard par l’échafaudage de leur magnificence effrontée. Des draperies tortillées tombent alentour en forme d’alcôve, et les yeux plongent par une échappée sur les allées d’un grand parc dont la solitude sera commode à leurs plaisirs.

Tout cela était venu par contraste : le puritanisme avait amené l’orgie, les fanatiques avaient décrié la vertu. La sombre imagination anglaise, saisie de terreurs religieuses, avait désolé la vie humaine. La conscience, à l’idée de la mort et de l’obscure éternité, s’était troublée ; des anxiétés sourdes y avaient pullulé en secret comme une végétation d’épines, et le cœur malade, tressaillant à chaque mouvement, avait fini par prendre en dégoût tous ses plaisirs et en horreur tous ses instincts. Ainsi empoisonné dans sa source, le divin sentiment de la justice s’était tourné en folie lugubre. L’homme, déclaré pervers et damné, se croyait enfermé dans un cachot de perdition et de vice où nul effort et nul hasard ne pouvaient faire entrer un rayon de lumière, à moins que la main d’en haut, par une faveur gratuite, ne vînt arracher la pierre scellée de ce tombeau. Il avait mené la vie d’un condamné, bourrelée et angoisseuse, opprimée par un désespoir morne, et hantée de spectres. Tel s’était cru souvent sur le point de mourir ; tel autre, à l’idée d’une croix, était traversé d’hallucinations douloureuses[1] ; ceux-ci sentaient le frôlement du malin esprit : tous passaient des nuits les yeux fixés sur les histoires sanglantes et les appels passionnés de l’Ancien-Testament, écoutant les menaces et les tonnerres du Dieu terrible jusqu’à renouveler en leur propre cœur la férocité des égorgeurs et l’exaltation des voyans. Sous cet effort, la raison peu à peu défaillait. À force de chercher le Seigneur, on trouvait le rêve. Après de longues heures de sécheresse, l’imagination, faussée et surmenée, travaillait. Des figures éblouissantes, des idées inconnues se levaient tout d’un coup dans le cerveau échauffé ; l’homme était soulevé et traversé de mouvemens extraordinaires. Ainsi transformé, il ne se reconnaissait plus lui-même ; il ne s’attribuait pas ces inspirations véhémentes et soudaines qui s’imposaient à lui, qui l’entraînaient hors des chemins frayés, que rien ne liait entre elles, qui le

  1. Carlyle, Cromwell, t. Ier, p. 48.