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quand le doolie manquait, à monter dans le howdah de quelque éléphant, ressource extrême dont il parle avec une rancune amère. De plus, il dut être saigné plusieurs fois, couvert d’emplâtres, bref traité de telle sorte que sa constance à marcher en avant, son rôle d’informateur public, sa curiosité qui le maintenait toujours en tête du long cortège formé par les troupes, prennent vraiment des proportions héroïques.

Arrivé à Shahjehanpore, sur la route de Bareilly, le corps d’armée de sir Colin Campbell y fit halte le 1er mai. On venait d’apprendre le désastre du vieux général Penny, tombé dans une embuscade de nuit et tué par les rebelles dans les rangs desquels son cheval l’avait emporté[1]. Il fut en conséquence décidé que Shahjehanpore demeurerait occupé pendant qu’on marcherait en avant. Les colonels Hale et Percy Herbert y furent laissés avec quelques troupes, établies tant bien que mal dans la prison de la ville, le seul bâtiment propre à recevoir garnison que Nana-Sahib eût laissé debout dans cette place quittée par lui quelque temps auparavant. Le 2 mai, sir Colin Campbell se remit en route dès le matin. Il venait d’arriver à Tilhour (à douze milles de Shahjehanpore) quand le vent lui apporta un bruit de grosse artillerie. À peine avait-il perdu de vue Shahjehanpore que l’habile et obstiné moulvie de Fyzabad était accouru, menaçant la petite garnison dont nous avons parlé. Cette manœuvre si hardiment conçue et si adroitement exécutée fit froncer le sourcil du général en chef ; mais il comptait sur l’énergique résistance des vaillans soldats qu’il avait laissés derrière lui, et continua flegmatiquement à marcher sur les rebelles, qui, disait-on, voulaient lui disputer Bareilly. Les espions racontaient qu’il y avait là 30,000 fantassins, 6,000 cavaliers et quarante pièces de canon.


VIII

Cette affaire de Bareilly (5 mai 1858), où, faute d’informations suffisantes, sir Colin Campbell devait voir encore une fois lui échapper les rebelles alors qu’il se croyait certain de frapper un grand coup, un coup décisif, n’est pas en elle-même plus intéressante que vingt autres combats livrés à cette époque, ou dans les mois qui suivirent, aux sept ou huit principales fractions de l’armée insurgée qui parcouraient le pays dans toutes les directions. Les vaincre, si elles avaient voulu combattre en rase campagne, rien de plus facile ; mais les

  1. Cette affaire eut lieu près d’Oosaite, sur la route du Budaon, dans un endroit nommé le Kukrowlee. La colonne du général Penny était de 1,550 hommes, dont 553 Anglais, un bataillon de Beloutchies, quelques fantassins du Pendjab, et 250 cavaliers du Moultan. Il menait avec lui six pièces de campagne. Plusieurs officiers furent grièvement blessés dans ce combat, qui eut tous les caractères d’une surprise.