Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ces chefs de la révolte, soit qu’ils voulussent fuir à l’ouest, soit que, traversant la rivière, ils songeassent à se jeter vers le nord ; mais pour l’agilité, la dextérité des retraites, les cipayes en remontrent aux Anglais. Comme à travers les réseaux d’un filet mal tendu, la begum et ses adhérens se dérobèrent aux trois détachemens envoyés pour les envelopper. Les bays (cavalerie) que commandait le brigadier Campbell, et qui devaient fermer le côté sud du Moosabagh, ne mirent ni assez de promptitude dans leur marche, ni assez de décision dans leurs attaques. Le prétendu roi d’Oude, sa mère, et le prêtre fanatique qui, de tous les chefs de la révolte, a déployé le plus d’instinct militaire, s’échappèrent ensemble, et on sut bientôt qu’ils étaient dans le Rohilcund à la tête de plusieurs corps d’armée encore en état de tenir la campagne.

Lucknow pris, l’Oude n’était point rentré sous le joug ; les grands chefs féodaux se maintenaient dans leurs « forteresses de boue[1], » et attendaient pour se soumettre des indications précises sur le sort qui leur était réservé par l’Angleterre victorieuse. De tous côtés erraient des bandes armées, levant les impôts au nom de l’insurrection. La begum était à Bitowlee, sur la Gogra ; Koer-Singh battait le district d’Azimghur ; un ancien chuckledar de l’Oude, Mehndie-Hossein, rassemblait à l’ouest, dans le Goruckpore, des forces qu’on disait formidables. Nana-Sahib était du côté de Calpee. Aussi fallut-il bientôt rompre l’armée[2] en plusieurs colonnes volantes qui, sous les ordres de sir Hope Grant, du général Rose, etc., marchèrent de tous côtés pour balayer le pays. M. Russell, atteint d’une forte dyssenterie, resta au quartier-général de Lucknow jusqu’au jour où sir Colin Campbell quitta la capitale conquise après y avoir installé le commissioner Montgomery. On était alors à la moitié d’avril. Le général en chef revenait à Cawnpore, d’où il allait bientôt, à la tête de forces respectables, se porter vers Futtehghur. Là, le brigadier Walpole, — qui, soit dit en passant, avait essuyé un rude échec devant un de ces « forts de boue » si dédaignés[3], — vint le rejoindre avec sa colonne. Le 27 avril, les deux généraux passèrent ensemble le Gange et pénétrèrent dans le Rohilcund. Deux jours après, le correspondant du Times reçut à l’intérieur de la cuisse un coup de pied de cheval qui allait lui rendre fort pénible le reste de la campagne. Cet accident le réduisit bientôt à ne plus marcher qu’en doolie, et parfois,

  1. Mud-forts. Cette expression revient à chaque instant sous la plume de M. Russell.
  2. Avant cette dislocation, en avril 1858, l’armée de sir Colin Campbell se composait (d’après les états officiels que cite M. Russell dans l’appendice de son Diary) de 18,278 hommes de toutes armes, dont 1,745 soldats ou officiers d’artillerie, 865 du génie, 3,169 sabres et 12,498 baïonnettes.
  3. Roya ou Royea, défendu par Nerput-Singh, un des chefs rebelles. Un des plus brillans officiers de l’armée anglaise, le jeune Adrian Hope, périt misérablement devant cette bicoque, imprudemment attaquée de front.