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certaines rues, certains édifices d’où il fallut successivement les déloger. Quand on parvenait à cerner quelqu’une de ces garnisons éparpillées, — comme cela eut lieu à l’Engine-house, un peu au-dessous du Chuttur-Munzil, près de la Goumti, — on les mitraillait, on les fusillait en masse. Trois ou quatre cents d’entre eux périrent à l’Engine-house sans qu’on fît quartier à un seul. M. Russell, toujours aux avant-postes, prit part, le 16, à l’expédition envoyée contre la Résidence et le grand Imanbarra, défendus encore par des révoltés pourvus de canons et abrités derrière des barricades qu’il fallut enlever à la baïonnette. Plus d’une poignée de mitraille, plus d’une balle isolée passèrent à quelques pouces de l’intrépide observateur, qui n’en prenait pas moins ses notes, le cigare aux lèvres, sous un ciel embrasé, dans une atmosphère infectée par la décomposition des cadavres, qui de tous côtés gisaient au soleil. On ne faisait pas encore quartier, et certains exemples de férocité individuelle déshonorèrent la victoire aux yeux mêmes des vainqueurs. Les fusiliers du Bengale venaient d’occuper la porte du grand Imanbarra, donnant sur la place qui sépare ce temple du Hosseinabad. « Un enfant kaschmyrien arriva au poste, conduisant par la main un vieillard aveugle, et, se jetant aux pieds d’un officier, implora sa protection. L’officier, — je le tiens de ses camarades, — prit son revolver, et, le dirigeant vers la tête du suppliant, lâcha la détente : — Shame ! shame (honte ! honte !) criaient les soldats. Le coup ne partit pas. L’officier arma de nouveau son pistolet, dont la capsule refusa encore service. Une troisième fois la détente fut pressée, une troisième fois l’arme rata. À la quatrième seulement, — il avait eu, à trois reprises, l’occasion de se laisser fléchir, — le noble officier en vint à ses fins ! Le sang qui battait dans les veines de l’enfant ruissela aux pieds de son meurtrier, tandis que les assistans poussaient une clameur indignée[1]. »

On se battait encore le 18 mars 1858, mais le pillage était arrêté. Des postes établis aux extrémités des rues faisaient rendre gorge aux déprédateurs qui circulaient chargés de dépouilles ; la plupart étaient des valets de camp qui s’étaient abattus, comme des vautours, sur la grande cité presque morte. La begum, avec son fils Brijeis-Kuddr et le fameux moulvie de Fyzabad, était restée jusqu’alors à la tête de cinq ou six mille hommes campés autour du Moosabagh, vaste palais entouré de jardins et ceint de fortes murailles, situé à l’extrémité occidentale des faubourgs, bien au-delà du grand Imanbarra et du Hosseinabad. Sir Colin conçut un moment l’espoir de les enlever au moyen d’une triple expédition, qui, si elle était menée avec ensemble, devait tourner la position et fermer toute chance à la retraite

  1. My Diary in India, tome Ier, page 348.