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voir mes soldats dans les rues, exposés au feu des maisons. » Ainsi parlait sir Colin Campbell dans sa prudence tout écossaise.

Pendant que, le 12 et le 13 mars, fidèle à son système, il faisait canonner la seconde ligne de défense et occuper un à un tous les postes d’où l’on délogeait les cipayes, M. Russell, avide d’informations, courait à cheval dans toutes les directions, visitant le Secunderbagh, le Shah-Nujeef, le Kuddom-Russoul, édifices épars le long de la Goumti (rive droite), et qui, lors de la première expédition de sir Colin (novembre 1857), avaient coûté de rudes combats. Cette fois l’ennemi les abandonnait sans coup férir. Un pont de bateaux jeté sur la rivière, non loin du Secunderbagh, lui permit d’aller rendre visite au général Outram. Le « Bayard de l’Inde, » — ainsi l’avait surnommé sir Charles Napier, — fit un excellent accueil au correspondant du Times, et, après l’avoir gardé toute une nuit sous sa tente, l’emmena, par mesure de bienvenue, dans une reconnaissance périlleuse qu’il allait faire du côté des deux ponts. À un moment donné, cette double issue pouvait être, pour les opérations à venir, d’une importance majeure. En attendant, les ponts, bien barricadés, étaient aux mains des rebelles, qui occupaient aussi en grand nombre les maisons les plus voisines. Dès que le général et ses compagnons se montrèrent dans une des rues que dominait le feu des cipayes, ils furent exposés à une véritable grêle de balles que le « Bédouin de la presse, » déjà fait au péril, affronta bravement, mais dont on s’aperçoit qu’il garda quelque rancune au Bayard de l’Inde. « Supposons, lui disait-il assez raisonnablement pendant que la mousqueterie sifflait autour d’eux, que vous succombiez ici, on dira, — et on dira vrai, — que votre mort est celle d’un soldat tombé en faisant son devoir et couvert de lauriers glorieux ; mais si le crâne de votre serviteur n’était pas de force à résister aux instances d’une de ces balles qui viendrait frapper à sa porte en lui demandant l’hospitalité, que dirait-on, je vous le demande ? Qu’il est mort en véritable imbécile, pour s’être fourré où il n’avait que faire, et qu’il s’en va couvert, non de lauriers, mais de ridicule. » La différence effectivement méritait d’être prise en considération.


VII

Ce jeu fatal qu’on appelle la guerre a des chances tout à fait imprévues. Le programme du siège que nous racontons portait, à la date du 14, l’occupation du temple musulman (l’Imanbarra), vers lequel, depuis quarante-huit heures, les assiégeans se frayaient péniblement un chemin parallèle à la rue principale de Lucknow, — la Huzrutgung, — où Havelock avait fait jadis décimer sa colonne