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ennemie, où ils faisaient des progrès rapides au milieu d’une fusillade enragée. « Eh bien ! reprit tranquillement sir Colin, c’est le moment d’aller à La Martinière. » Les chevaux amenés, l’état-major partit pour aller prendre possession de la nouvelle conquête. Quelques boulets passèrent, en déchirant l’air, bien près de ces hardis cavaliers ; mais pas un d’entre eux ne fut atteint, et bientôt ils s’accoudaient aux balcons du palais de Claude Martin, ayant alors, sous les yeux, dans toute sa splendeur, le panorama de Lucknow, dont, sur les terrasses de la Dilkoosha, l’œil n’embrasse qu’une partie. On voyait de là sans obstacle les mouvemens de la division Outram, s’avançant en bon ordre vers le Chuckerwallah-Kothie et le Badshahbagh, tandis qu’une partie de ses canons, déjà mise en batterie sur la marge sablonneuse de la Goumti, commençait à prendre en flanc la première ligne de défense. Le plan de sir Colin se réalisait de point en point.

Cette première ligne du reste était déjà presque abandonnée. Les artilleurs cipayes n’avaient pas même attendu la complète occupation de La Martinière pour se rabattre en arrière sur le palais de la begum (Begum’s Kothie), l’Imanbarra et la ligne bastionnée qui partait de la rivière presque parallèlement au Badshahbagh. Pour renouveler la manœuvre qui venait de lui réussir si bien, le général Outram avait à s’emparer de tous les points encore défendus sur la rive gauche de la Goumti. Il continua donc avec vigueur son mouvement en avant, tandis que, satisfait d’avoir vu tomber la ligne du Vieux-Canal, sir Colin permettait simplement aux montagnards et aux Sikhs de s’établir dans les faubourgs situés entre cette ligne et la cité proprement dite.

Le Chuckerwallah-Kothie est ou plutôt était un grand édifice peint en jaune, situé sur le champ de courses, tout au bord de la rivière. Quelques vingtaines de cipayes s’y étaient enfermés, avec la ferme résolution de s’y défendre et la certitude, une fois cernés, de n’en pas sortir vivans. L’héroïsme de leur sacrifice aurait dû toucher les soldats d’Outram comme il a touché M. Russell :


« On les a traités d’insensés, de fanatiques, nous dit-il ; ce qu’ils firent était tout simplement digne d’être chanté par un Tyrtée de leur race. Ils combattirent jusqu’au bout, tuant ou blessant tout ce qui venait à eux. Leurs balles ayant frappé à mort un des officiers anglais qui commandaient les Sikhs, et gravement blessé deux ou trois autres, on retira les troupes d’assaut, et on ouvrit sur cette habitation une canonnade terrible. Quand les murs furent percés, abattus en vingt endroits par les boulets et les obus, quand on devait croire que pas un homme de la petite garnison n’était debout, un détachement de Sikhs se précipita dans ces ruines. Quelques cipayes y respiraient encore. On les acheva : c’était clémence ; mais par une raison