Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Martinière ; elles y envoyaient une pluie d’obus, de boulets et de fusées. Les parapets s’ébréchaient, les murs croulaient, les statues de plâtre volaient en éclats : Pandy[1], malgré tout, tenait bon. Turbans blancs et faces noires fourmillaient encore dans ce palais en démolition. À couvert, et de loin, Pandy supporte le feu avec assez de constance. Cependant deux heures sonnent : à la minute même, au milieu des éclats de la canonnade, on entend de cour en cour passer le signal : en avant ! Massées derrière le château, qui les abritait jusque-là, les colonnes d’attaque se mettent en marche. Elles ont l’ordre de ne pas tirer ; c’est à la baïonnette que la position doit être enlevée. À peine les premiers pelotons de highlanders se sont-ils montrés, l’artillerie se tait tout à coup. C’en est assez pour que l’ennemi comprenne de quoi il s’agit. Du haut des terrasses, on voit les cipayes fuir de tous côtés dans les zigzags des tranchées et déserter à l’envi leurs fossés de tir ; on les voit se presser à toutes les issues et se précipiter de toutes parts vers La Martinière. Un bien petit nombre songe à faire feu pendant cette brusque retraite. Les highlanders se déploient ; les Sikhs se jettent pêle-mêle sur les flancs de la ligne formée par les highlanders. Tous prennent bientôt la course, c’est à qui rejoindra plus tôt l’ennemi. Cet élan rapide les met promptement à l’abri du feu de flanc que leur envoie, dès qu’ils sont à découvert, toute l’artillerie placée en écharpe sur la ligne du Vieux-Canal. Les boulets à leur adresse arrivent en plein sur les porte-brancards (dooly-bearers) qui marchent à l’arrière pour recueillir les blessés. Ces pauvres coolies tombent çà et là, victimes obscures auxquelles personne n’accorde même un regard. En revanche, sir Colin se fâche sérieusement contre « un imbécile » qui mène son régiment sous le feu en bon ordre et massé comme à la parade… « Allez !… courez lui dire d’éparpiller ses hommes… Peut-on commettre de pareilles bévues ?… » Quand il s’agit d’économiser le sang anglo-saxon, le général en chef est intraitable. Il peut d’ailleurs se rassurer. Arrivés aux tranchées que les cipayes viennent d’évacuer, les highlanders et les Sikhs s’y jettent à l’envi et gagnent ainsi, à l’abri des boulets, les murs de La Martinière. On voit bientôt les cipayes s’élancer sur les degrés du palais et fuir par les longs corridors. Quelques minutes plus tard, le général en chef interpelle le correspondant du Times  : « Tenez, monsieur Russell, je vous fais mon aide-de-camp provisoire… Prenez cette lunette,… vos yeux valent mieux que les miens… Sous ces arbres, sur la droite de La Martinière, quels sont ces hommes que je distingue à peine ?… » C’étaient les highlanders et les Sikhs, déjà installés dans l’enceinte

  1. Surnom générique donné aux cipayes.