Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sept-Épées était au bout de ses espérances et de ses essais quand cette offre lui tomba sur la tête. Il regimba et parla de Tonine. Gaucher, qui souhaitait plus que lui-même la satisfaction de son ambition et qui y croyait encore, le détourna de Tonine en lui affirmant qu’elle avait bien sérieusement résolu de ne pas se marier. Alors Sept-Épées baissa la tête, et, dans un accès de farouche dépit contre elle, il laissa Gaucher l’entretenir des perfections de Mlle Trottin, sans l’écouter, mais sans le contredire. Il ne s’engagea à rien, mais il ne refusa pas de rentrer à l’atelier Trottin. Il sentait bien qu’il était temps de reprendre la chaîne, s’il ne voulait pas s’endetter et se mettre dans les embarras pour toute sa vie.



XI.


Tonine, ayant appris que Sept-Épées n’avait pas dit non, et que Gaucher commençait à tâter le terrain pour le mariage projeté, eut un nouvel accès de chagrin et pleura encore ; mais elle s’en cacha, même avec la Laurentis, et s’efforça de n’y plus penser.

Le lendemain, elle alla rendre visite à Rosalie Sauvière, une de ses plus chères compagnes qui s’était cassé un bras, et elle y rencontra le jeune médecin Anthime, celui qui avait soigné Audebert à la baraque. D’autres fois déjà, elle s’était retrouvée avec lui dans des circonstances analogues ; mais comme elle voyait bien dans ses yeux le goût qu’il avait pour elle, elle le tenait à si belle distance qu’il n’avait jamais osé lui parler d’amour. Ce jour-là, préoccupée et un peu abattue, elle ne remarqua pas qu’il restait plus que de besoin, et d’ailleurs elle ne pouvait croire qu’il osât lui faire la cour devant sa jeune compagne et devant la mère de celle-ci, qui était une femme très estimée et très religieuse ; mais à sa grande surprise M. Anthime lui prit la main et lui dit : — Mademoiselle Tonine, j’ai quelque chose de très sérieux à vous confier, et il y a longtemps que j’en cherche l’occasion. C’est quelque chose de si honnête que la présence de Mme Sauvière et de sa fille, loin de me gêner, me décide ; je les prends à témoin de mes paroles. Je suis amoureux de vous depuis le premier jour où je vous ai parlé, et depuis ce jour-là je vous ai vue faire tant de bien et j’en ai tant entendu dire de vous à tout le monde, que j’ai réclamé de mon père la permission de vous demander en mariage. Mon père est, vous le savez, un bon bourgeois philosophe dont le cœur répond à l’intelligence. Il a pris des informations sur vous et il a approuvé mon choix. Il n’est pas très riche, mais je suis fils unique ; j’ai déjà une bonne petite clientèle et je suis un honnête garçon. Voulez-vous bien recevoir ma demande, y réfléchir quelques jours, prendre sur moi toutes les in-