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dans les guerres de l’Inde, et dont le magnifique mausolée est encore debout à côté du palais qu’il s’était donné[1]. Au premier coup d’œil jeté sur cette bizarre fabrique, on pousse un cri d’admiration ; le second provoque un éclat de rire. Rien de plus fantastique, en effet, que cette architecture incohérente, où des maçons dociles ont essayé de réaliser les rêves d’un millionnaire en délire. Colonnes, arceaux, piliers s’amalgament et s’agencent sans ombre de raison : ici un escalier qui ne mène à rien, là des fenêtres sans emploi possible ; en saillie, hors des murs, sans motif, sans symétrie, d’énormes têtes de lions grotesques. Une porte inutile sert de prétexte à deux pilastres incongrus. Des statues partout : au bord des perrons, au sommet des tourelles, à l’angle des terrasses, rangées, pressées l’une contre l’autre, et de là se répandant, comme la foule un jour de fête, dans le parc et jusque sur les murailles qui le bornent.

Par-delà ce singulier monument, à droite, au bord de la Goumti, commence le rempart élevé par les cipayes, et qui a dû coûter un travail énorme. Il ressemble de loin à ces longs remblais sur lesquels courent nos railways quand ils ont un vallon à traverser. On remarque ici une redoute accotée à ce rempart (moins solide en réalité qu’en apparence), plus loin une batterie, çà et là quelques canons en barbette. Justement en face du camp anglais, un ouvrage assez bien établi couvre un bâtiment à deux étages, le Bank’s Bungalow. À gauche de cet édifice s’élèvent le palais de la begum (Begum’s Kothie) ; en arrière, le petit Imanbarra (temple musulman) ; plus en arrière encore, et dans le même axe, le Kaiserbagh, groupe énorme de bâtimens aux coupoles étincelantes. Si le regard s’en détache et se détourne vers la droite (ou vers le nord), il rencontre la Résidence aux murailles démantelées et les trois ou quatre palais adjacens où Havelock s’était établi (Chuttur-Munzil, Motie-Mahal, etc.) ; s’il franchit la rivière, il aperçoit à l’autre bord le Badshahbagh, autre château de plaisance entouré d’un parc magnifique, puis de vastes plaines que traverse de l’ouest à l’est la route qui mène à Fyzabad, C’est par-delà cette route, et dans la même direction, qu’est le village de Chinhut, resté célèbre depuis l’échec subi par sir Henry Lawrence.

Au premier plan de ce vaste tableau, et pour ainsi dire au pied même de la Dilkoosha, M. Russell plongeait sur les tranchées en zigzag creusées sur la droite de La Martinière, et reliant à cette forteresse improvisée les fossés où se cachaient les tirailleurs cipayes, les rifle-pits, comme il les appelle.

  1. Ce palais, à l’époque de l’insurrection, était une grande et riche institution, une sorte d’université anglo-indienne. Voyez, sur Claude Martin et son rôle à Lucknow, l’étude de M. le major Fridolin sur les Grandes Villes de l’Inde, Revue du 15 mars 1857.