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l’Imanbarra, le Begum’s Kothie), à traverser la ville dans presque toute son épaisseur. C’est là ce que ne veut pas sir Colin Campbell, instruit justement par cette fatale expérience, et qui se souvient du sang inutilement versé dans « la guerre de rues » que Havelock et Neill ont affrontée. Plus prudent, plus ménager de la vie de ses soldats, il entend renouveler l’attaque du 17 novembre 1857, qui, somme toute, lui a si bien réussi. C’est la ligne orientale des défenses ennemies qu’il veut forcer, et qu’il veut forcer à son extrémité nord, c’est-à-dire au point même où le Vieux-Canal se réunit à la Goumti. S ! il y parvient, il prend à revers toute cette première ligne, et, sans rien avoir à démêler avec la ville proprement dite, se trouve en face d’une seconde ligne de fortifications, parallèle à la première, mais beaucoup plus restreinte. Celle-ci part de la Goumti, passe devant le Kaiserbagh, et, se rapprochant de la première enceinte, vient envelopper le Begum-Kothie et l’Imanbarra. La troisième et dernière ligne de défense s’appuie aux murailles mêmes du Kaiserbagh ; elle couvre la Résidence, et s’étend jusqu’aux deux ponts (Iron bridge et Stone bridge) qui permettent seuls de passer la Goumti.

À défaut de plan qui parle aux yeux, et afin d’être mieux compris, nous supposerons la Seine coulant de l’ouest à l’est. Nous lui ferons contourner au nord les fortifications de Paris, d’Asnières, si l’on veut, jusqu’à Joinville-le-Pont. Le parc de la Dilkoosha devient le bois de Vincennes, compris dans la courbe que forme le fleuve. Belleville, Ménilmontant, la place de la Bastille, le Jardin des Plantes et les boulevards du midi marqueraient alors assez bien la ligne de retranchemens opposés à l’armée anglaise. Ce rapprochement n’est pas si singulier qu’on pourrait le croire au premier coup d’œil. Lucknow a plus d’une fois rappelé Paris au correspondant du Times, qui, sur les terrasses de la Dilkoosha, songeait aux perspectives de Saint-Cloud. Lucknow seulement jette plus de feux que Paris. Ses coupoles dorées, ses dômes d’azur, ses minarets, ses palais, ses toits plats et brillans, miroitent sous l’ardent soleil de l’Inde. De hautes colonnes se détachent du sein des massifs de verdure et portent haut dans l’espace des sphères dorées qui ressemblent à des constellations. La rivière roule des flots d’acier liquide, d’où jaillissent des reflets diamantés. Un moment ébloui par cette vision splendide, M. Russell cherche pourtant à se reconnaître, et, familier avec l’usage des lunettes d’approche, il a bientôt saisi les traits distinctifs de ce vaste panorama.

Du haut de la Dilkoosha, édifice d’architecture italienne dans le style du XVIIIe siècle, son œil embrasse toute la partie nord de Lucknow. À sa droite, en dehors des retranchemens, est l’enclos de La Martinière, ainsi nommé d’un brave Français, Claude Martin, enrichi