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heure, la colonne défilait devant Jellalabad, petit fort aux murailles croulantes, occupé par une partie des défenseurs de l’Alumbagh. Plus d’une fois, les cipayes étaient venus de Lucknow attaquer cette extrémité de la ligne ennemie ; leurs échelles étaient encore renversées le long des fossés ; parmi les buissons, maint et maint squelette était resté sans sépulture. « Mais que fait là cet officier ? se demande M. Russell ; pourquoi pousse-t-il ainsi son cheval sur ces ossemens à demi recouverts par quelques rouges lambeaux de l’uniforme cipaye ? . Les vrais braves ne font point la guerre aux morts. »

Au-delà de Jellalabad apparaissent quelques bois, puis une vaste plaine inculte que bornent à gauche des bois encore et des plantations de cannes : une hauteur limite cet horizon. Derrière cette hauteur, quand on arrive au sommet, on trouve l’enceinte murée d’un vaste enclos planté d’arbres ; c’est là un des parcs royaux situés à l’est de Lucknow, et dans lesquels l’armée de siège va s’établir. Sir Colin Campbell y a déjà sa tente, et les khelassies sont à l’œuvre. L’endroit s’appelle Bibiapore ; il est en arrière et au sud de la Dilkoosha, autre parc bien plus vaste et plus découvert, d’où l’on a déjà chassé l’ennemi. L’enclos de La Martinière, qui confine à la Dilkoosha comme ce parc confine à Bibiapore, est encore occupé par les cipayes : « Mais le général n’a qu’à parler, dit à M. Russell l’honnête sergent qui le guide (vieille connaissance de Crimée), nous serions bientôt dans La Martinière ! »

Arrêtons un instant nos yeux sur l’ensemble du paysage, si nous voulons bien nous rendre compte des combats qui vont y être livrés.

De Cawnpore, la route remonte vers Lucknow dans la direction du nord-est. Cette route côtoie les murs de l’Alumbagh, et l’armée anglaise ne l’a point suivie jusque-là ; deux ou trois milles en-deçà, elle s’est rabattue par sa droite (autant vaut dire à l’est) jusqu’au fort de Jellalabad, qu’elle a tourné ; puis, se dirigeant à nouveau vers le nord, elle est venue se placer entre la Goumti, à laquelle elle s’adosse, et la face orientale de l’énorme cité qu’elle veut réduire. Lucknow, dont la circonférence n’a pas moins de trente milles (environ 53 kilomètres), présente un front redoutable. Au nord, la Goumti couvre la ville et lui sert de fossés. Un ancien canal qui se détache de cette rivière à l’endroit même où un méandre bien marqué ramène ses eaux dans la direction du midi protège la place à l’est et forme, en face de la Dilkoosha, de La Martinière, etc., sa première ligne de défense. Inclinant ensuite par une courbe dans la direction de l’ouest et enveloppant ainsi la capitale au midi, ce canal continue l’enceinte. On peut, comme Havelock, attaquer Lucknow par le sud, en forçant l’unique pont jeté sur ce canal, près du palais appelé le Charbagh ; mais alors on en est réduit, pour arriver jusqu’aux points fortifiés intérieurs (le Kaiserbagh, la Résidence,