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Si ces contrées où le relief du sol se résout dans d’imperceptibles ondulations offrent à la société des conditions de bien-être et de progrès qu’on ne trouve pas ailleurs au même degré, elles sont uniformes comme l’état social vers lequel tend l’humanité. Tout y semble petit et monotone comme l’œuvre de l’homme ; rien n’y fait ressortir les grands effets de la création dont les hauts lieux gardent l’ineffaçable empreinte. Dans les plaines, l’esprit humain règne seul, et seul se laisse apercevoir ; on ne rencontre que l’œuvre de nos mains ou le produit de nos efforts sur la nature. Dans les contrées de montagnes, c’est cette nature qui apparaît à son tour, et nos ouvrages infimes sont écrasés par la majesté et le grandiose qui les environnent. Tout est varié, tout est opposition et contraste ; chaque coin de rocher, chaque cime, chaque pente, chaque ravin a sa physionomie propre, son cachet particulier d’élégance et de grandeur. Aussi ces régions sont-elles la terre promise des physiciens, des naturalistes, le théâtre d’une foule d’observations qui s’offrent d’elles-mêmes, et dont nous n’avons pu donner qu’un bien imparfait résumé.

Quelque ravissante que soit une de ces fêtes où notre esprit s’épuise en raffinemens et en inventions de toute sorte, quelque attachante que semble une de ces conversations, un de ces entretiens de salon où l’esprit se joue à travers mille sujets, provoque toutes les impressions et les fait revivre ensuite par une analyse délicate, quelque satisfaisans que soient pour notre orgueil les chefs-d’œuvre de l’art et du goût, les sensations que tant de plaisirs nous font éprouver n’égalent jamais en force, en plénitude, en imprévu la nature vierge, la vue des montagnes. Nul spectacle ne renferme des enseignemens plus salutaires, plus féconds, et n’invite davantage l’âme à descendre en elle-même pour s’élancer ensuite vers les régions d’une éternelle sérénité. Lorsque, fatigués de cette atmosphère des villes sans cesse respirée, nous ouvrons la fenêtre et apercevons dans le lointain les étages successifs des montagnes formant à l’horizon comme le premier degré des nuages, il nous semble que nous retournons aux joies pures de nos premières années, et que nous faisons de la nature, un instant obscurcie, une nouvelle découverte.


Alfred Maury.