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gnes. C’est vainement qu’on chercherait dans les auteurs du moyen âge une complaisante description de tant de beautés et de scènes imposantes. L’élan religieux, si puissant à cette époque, n’allait point au-delà des clochers et des tours des cathédrales ; quant à la nature, à quelque hauteur qu’elle eût amoncelé ses ouvrages, nul ne pensait qu’elle pût élever aussi l’âme vers Dieu.

La plaine, voilà donc la vraie demeure de l’homme, celle qui lui assure la richesse, l’aisance et le progrès. C’est dans les pays plats, dans les vallées basses et ouvertes, que l’agriculteur trouve pour ses travaux le plus de facilité, qu’il obtient des récoltes plus abondantes, qu’il les voit moins exposées aux intempéries et aux catastrophes. Il ne rencontre pas en ces lieux d’obstacles pour se rendre d’un point à un autre, et la facilité de communication amène un échange plus fréquent d’idées et de denrées. Rien ne s’y oppose à l’extension indéfinie des villes, tout y est préparé comme à l’avance pour les merveilles de l’industrie et les splendeurs des arts ; mais dans ce séjour, où la vie coule si facile et si égale, l’homme s’énerve et se corrompt, les générations s’affaiblissent et finissent par s’éteindre. Aussi est-ce un courant perpétuel de populations qui descendent de la montagne dans la plaine. Sans cesse de nouvelles familles de montagnards viennent prendre la place des familles éteintes et régénérer par l’infusion d’un sang plus vigoureux une race qui s’étiole ou perd graduellement son énergie. Tel est le spectacle que nous présente l’histoire. Les sociétés civilisées ne pourraient se suffire à elles-mêmes sans cette immigration ; elles se déshabitueraient dans le bien-être du rude labeur des champs et des épreuves par lesquelles l’homme doit passer pour retremper ses forces et son caractère. Quand la première civilisation, qui s’était développée aux bords de l’Euphrate, sentit les atteintes d’une caducité précoce, les montagnards de la Chaldée descendirent en Mésopotamie et y dominèrent. Les Mèdes, venus du versant méridional du Caucase, jouèrent plus tard le même rôle. La conquête dorienne, l’invasion des populations gauloises dans la plaine du Pô, celle des habitans des forêts montagneuses de la Germanie dans les pays plats du nord de la Gaule, l’établissement des Mandchoux dans la Chine, aussi bien que celui des tribus de l’Asie centrale dans les plaines du Gange et de l’Indus, reproduisent à des époques diverses le même phénomène historique. De là l’opinion que les hauts plateaux ont été les premiers habités, que c’est au sommet des montagnes que l’homme avait sa primitive patrie. L’examen des lieux nous prouve au contraire que les destinées de l’humanité l’appelaient dans les contrées plus basses, et que là seulement l’homme a pu trouver un libre essor à ses facultés.