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ment jusqu’à des hauteurs de 4 ou 5 000 mètres. M. J.-D. Hooker a observé des papillons au Mont-Momay, à une altitude de plus de 5 400 mètres ; mais en aperçoit-on plus haut, ce sont des naufragés que le vent pousse malgré eux. Les arachnides, qui se rapprochent à tant d’égards de la classe des insectes, ont aussi le privilége de résister à la froide température des montagnes. Un insecte des Alpes presque microscopique, le desoria glacialis, habite exclusivement le voisinage des glaciers. Mais on dirait que la tristesse de leur séjour se réfléchit dans l’aspect de tous ces petits animaux : ils ne présentent plus la variété de teintes qui les caractérise ailleurs ; ils affectent tous une couleur noire ou sombre qui dissimule de prime abord leur présence dans les trous où ils se blottissent. À ces hauteurs, les habitudes des insectes se modifient selon les localités où ils vivent. M. P. Lioy, qui a tracé un aperçu philosophique des lois auxquelles obéit la nature organique et dont elle est la mobile manifestation, remarque que des insectes nocturnes dans les contrées de plaine deviennent diurnes dans les régions montagneuses. C’est qu’en effet les hautes régions reproduisent à certains égards les conditions des lieux bas pendant la nuit ; elles gardent, même après le lever du soleil, la fraîcheur et l’ombre que le soir donne seul dans les plaines.

Tel est le tableau de la vie animale dans ces zones alpestres où la faune se réduit graduellement pour ne plus laisser de place qu’à la solitude et à la désolation. Au-delà du dernier étage de la végétation, au-delà de l’extrême région qu’atteignent les insectes et les mammifères, tout devient silencieux et inhabité ; toutefois l’air est encore plein d’infusoires, d’animalcules microscopiques, que le vent soulève comme de la poussière, et qui sont répandus dans l’atmosphère jusqu’à une hauteur inconnue. Ce sont des germes nageant dans l’espace, qui attendent pour se fixer et devenir le point de départ d’une faune nouvelle l’apparition d’un autre soulèvement, d’un nouvel exhaussement du globe.

Ainsi le règne animal ne disparaît pas sans avoir pour ainsi dire épuisé toutes les organisations encore compatibles avec l’état du sol, de plus en plus refroidi et appauvri, avec celui de l’atmosphère, de plus en plus raréfié. Les oiseaux occupent comme les avant-postes de la grande armée d’êtres de toute espèce qui défend la montagne contre l’invasion de la mort. Les rapaces forment en quelque sorte les éclaireurs. Les passereaux, les grimpeurs et quelques gallinacés se rapprochent plus du gros de l’armée ; ils aiment à se tenir dans la région intermédiaire entre celle des forêts et celle des neiges perpétuelles. Les derniers sapins, les derniers buissons sont comme des échauguettes d’où ils observent l’atmosphère, prêts à descendre