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en commun sur l’emplacement de leur marché, de leur fontaine ou de leur église, et en quoi le pouvoir militaire serait entravé dans ses rapports avec les Arabes par des délibérations de cette espèce. À l’égard des intérêts communaux, je ne vois entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire qu’une différence qui est peut-être à l’avantage du dernier : c’est qu’ayant moins de loisir à la fois et moins de connaissances, ou plutôt moins de prétentions, un officier sera toujours moins tenté qu’un administrateur de descendre dans tous les détails de la vie municipale, et de faire le bonheur de ses subordonnés en se mêlant à tout instant de ce qui ne le regarde pas.

Des garanties judiciaires et des franchises communales, — nous avons là, ce semble, deux élémens d’institutions civiles qui peuvent prendre racine dès à présent en Afrique, et qui ne me paraissent inconciliables ni l’un ni l’autre avec le maintien provisoire d’un pouvoir militaire, continuant, à côté et au-dessus d’eux, l’entreprise de contenir l’expansion irrégulière de la société arabe. Le pouvoir militaire, ainsi limité sans être détruit, se présenterait aux imaginations européennes sous un aspect moins formidable. Puis, quand viendrait, pour chaque portion du territoire, le jour où ce pouvoir doit disparaître avec la nécessité qui l’a créé et qui le justifie, s’il laissait derrière lui des agglomérations d’hommes déjà formés à la vie commune et obéissant aux interprètes de la loi, le temps qu’il aurait duré ne serait point perdu, même pour l’avenir civil de la colonie. Veut-on me faire dire toute ma pensée ? Des institutions communales, des garanties judiciaires destinées, les unes à stimuler, les autres à régler le développement de l’association, ce sont là les véritables institutions civiles d’une colonie, c’est le vêtement souple qui convient à un corps en croissance. Quand je lis au Moniteur qu’un district d’Afrique échappe au pouvoir militaire pour être érigé en territoire civil, je comprends la satisfaction que causent ce progrès de la civilisation et ce nouveau pas fait vers un état de gouvernement régulier ; mais une pensée tempère pourtant ce contentement : à la place du pouvoir militaire qui se retire, ce n’est pas la liberté civile, c’est, chose essentiellement différente, l’administration civile qui arrive. Le régime civil qu’on inaugure, ce n’est pas, comme en Australie ou en Amérique, un jury, des aldermen et un common-council, c’est-à-dire des citoyens maîtres d’eux-mêmes et soumis à la loi, mais M. le sous-préfet accompagné de M. le directeur des ponts et chaussées et de M. l’ingénieur des mines, tous pliant sous le faix de volumes de décrets et de règlemens, et chacun d’eux portant sur le collet de son habit brodé l’attache d’un pouvoir supérieur et la trace de sa dépendance. C’est la centralisation avec son appareil de bureaux et de cartons qui s’empare du territoire évacué par la conquête. Je doute parfois qu’en échangeant une autorité sommaire et provisoire par sa