Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mal fondées, de soupçons injustes ! En quoi l’autorité des bureaux arabes serait-elle amoindrie parce qu’à côté d’eux la magistrature ordinaire exercerait sur les Européens sa mission légale et pacifique ? Nous avons à Alger une cour impériale largement constituée, et en ce moment même excellemment dirigée. Des tribunaux de première instance sont établis dans les principales villes, des justices de paix dans d’autres. Ce personnel judiciaire est assez nombreux, assez peu chargé d’occupations, pour pouvoir parfaitement, en se déplaçant à des époques régulières, rendre la justice à tous les Européens sur tous les points de l’Algérie sans distinction de territoire. Si ce personnel est insuffisant, l’augmenter serait une faible dépense, largement compensée par l’avantage qu’on trouverait à faire savoir en Europe, à quiconque tourne les yeux vers l’Afrique, que pas un cheveu n’y tombe de la tête d’un Européen et pas un sou ne sort de sa bourse, sinon après jugement contradictoire et en vertu d’une sentence rendue par un magistrat inaccessible. C’est l’autorité militaire même qui est intéressée à renoncer à cette part inutile de ces attributions, c’est elle qui doit être pressée de faire cesser un spectacle choquant, donné trop souvent dans quelques-unes des villes d’Afrique : celui d’affaires identiques débattues entre gens de même condition et porte à porte, d’après des règles différentes, par des tribunaux divers, uniquement parce qu’une demi-lieue de distance en a séparé les théâtres. Ce contraste est une des singularités qui accréditent le plus l’idée, sottement répandue en Europe, que le territoire militaire d’Afrique est une région mystérieuse dont la justice et la liberté ne peuvent se faire ouvrir l’accès.

Après les garanties judiciaires, il en est d’une autre espèce, et non moins précieuses peut-être, qui pourraient être assurées aux Européens pour humaniser en quelque sorte à leurs yeux le pouvoir militaire sans pourtant en compromettre l’exercice et en relâcher le lien : c’est une certaine mesure de libertés communales. Je ne me dissimule point la surprise que ce seul nom peut causer à plus d’un lecteur. Nous sommes tellement habitués en France à considérer les libertés communales comme le dernier complément d’une civilisation avancée, comme la concession suprême qu’une administration peut octroyer à des sujets dont la docilité la contente, que parler de libertés communales en Afrique et en territoire militaire, c’est presque s’exposer à faire sourire. La commune est chez nous l’enfant de l’état et même l’enfant de sa vieillesse ; c’est lui qui l’a mise au jour, qui lui règle tous ses mouvemens, qui lui mesure la longueur de ses lisières. Ainsi le veulent les traditions de notre histoire et une certaine habitude logique qui nous porte à descendre toujours du général au particulier. Si pourtant nous consultions nos voisins d’outre-Manche, qui savent mieux que nous par quel mystère s’opère la