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prix de l’immobilité de la colonie, la perpétuité de son privilège, et l’accusation, dans ce cas, serait cent fois plus vraisemblable, car des administrateurs civils qui se seraient consacrés pendant de longues années à une tâche exclusivement africaine n’auraient plus d’autre carrière et presque d’autre patrie que l’Afrique, tandis que des officiers, après avoir passé quelques années de leur jeunesse dans une station de l’Atlas, ont toujours ouverts devant eux tous les rangs de l’armée française et tous les champs de bataille du monde.

C’est cet immense avenir, sans cesse brillant devant les yeux de l’armée d’Afrique, qui m’empêche en vérité d’ajouter la moindre foi au sot et au mesquin calcul d’égoïsme qu’on lui prête. Tout officier français a le droit de rêver qu’il deviendra maréchal de France, et je suis porté à croire qu’il a surtout de pareils rêves dans un bordji de bureau arabe, car que faire en un tel gîte à moins qu’on n’y songe ? — L’idée qu’au lieu de laisser voltiger devant ses regards cette vision étincelante, il va borner ses prétentions à transformer le poste ingrat où languit sa jeunesse en un apanage féodal, pour y perpétuer son séjour en même temps que son pouvoir, me paraît peu vraisemblable, et c’est lui supposer plus de modestie que la nature n’en comporte. L’armée peut aspirer parmi nous (faut-il s’en applaudir ou s’en affliger ?) à une tout autre domination que celle de l’Afrique, et le jour où elle s’écarterait de la voie du devoir pour prêter l’oreille aux conseils de l’ambition, elle ne se bornerait pas sans doute à aller loin des honneurs, de la richesse et de la renommée, étendre une autorité stérile sur d’obscures populations. Puis rien ne prouve qu’en Afrique plus qu’ailleurs les officiers de l’armée française aient oublié le véritable rôle que nos lois leur assignent, celui d’obéir toujours, même en commandant. Qu’après une lutte effroyable, ils se soient reposés quelques jours de trop sur un résultat glorieux, mais insuffisant ; qu’après avoir réussi, non sans peine, à soumettre les tribus, ils n’aient que mollement tenté de les transformer ; qu’ils n’aient pas préservé leur administration des atteintes de la routine, cet excès, cette excroissance de l’expérience, c’est un tort tellement naturel qu’on peut se dispenser même de le constater pour le condamner ; mais de là à une résistance calculée et intéressée, il y a tout un abîme que la calomnie seule peut se charger de combler. Je suis très intimement persuadé que le jour où une main ferme aura tracé devant eux la voie nouvelle, où on leur aura clairement fait comprendre qu’il y a encore en Afrique une œuvre à consommer, suffisante pour l’emploi de toutes leurs facultés, une œuvre que la France attend de leur dévouement et qu’elle paiera de sa reconnaissance, qui pourra tout ensemble assurer la gloire de leur nom, l’avantage de leur pays et le progrès de leur fortune, poussés par ces mobiles divers, tous, bien qu’inégalement sans doute, puissans