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parler à tout le monde à la fois. Les avantages en effet que le gouvernement français peut offrir aux tribus en retour du sacrifice qu’il leur demande ne peuvent avoir pour toutes une égale valeur, et le désir qu’elles éprouvent de les obtenir doit différer suivant leur situation et le parti qu’elles sont en mesure d’en tirer. Aux tribus qui habitent le voisinage du désert et dont la vie se passe uniquement à suivre sur les plateaux du Haut-Atlas les troupeaux qui les nourrissent, sans qu’elles songent même à en faire un objet d’échange pour le commerce, l’incertitude de la propriété paraît à coup sûr un mal très léger. À vrai dire, la propriété pour elles n’est pas incertaine, elle est nulle. Pour elles, la terre est sans valeur : c’est à l’espace avant tout qu’elles aspirent. Tout ce qui tendrait dans leur état actuel à les resserrer leur paraîtrait menaçant pour leur existence, et elles seraient plus impatientes des limites que sensibles aux bienfaits d’une propriété définie. Il en est tout autrement de celles qui habitent les pentes et les vallées voisines de la mer, qui sont mises par là en relations faciles avec les centres de population fondés par les Maures et développés par les Européens. Celles-là ont déjà l’habitude de venir apporter sur nos marchés leur bétail ou le produit de leurs cultures. En traversant la banlieue des villes, où le jardinage a atteint en général une grande perfection, elles ont sous les yeux le spectacle des trésors que peut faire sortir de la terre une propriété protégée par la loi et fécondée par l’activité individuelle. Le prix chaque jour plus élevé qu’elles tirent elles-mêmes de leurs denrées accroît naturellement à leurs yeux la valeur de chaque motte du champ qui leur vaut ce revenu. Elles commencent à sentir ainsi le prix de ces biens naturels, que dans leur état nomade elles prodiguent au hasard. Le désir d’en posséder pour soi-même une part et de retirer personnellement tout le fruit de son labeur, au lieu de l’engloutir dans la déperdition d’un produit collectif, se glisse naturellement dans l’esprit de beaucoup de leurs membres. D’autres, moins laborieux, s’aperçoivent qu’ils possèdent une valeur recherchée, et regrettent de ne pouvoir l’aliéner pour en réaliser et en consommer le prix. C’est ce moment que doit choisir une administration qui connaît ses subordonnés, qui vit avec eux, pour les amener à une transaction qui les ferait sortir de l’indivision et de la confusion qui leur pèsent, et ce moment même peut être hâté par des exhortations faites à propos. L’exemple une fois donné ne pourrait manquer de se propager, suivant, comme une marée qui monte, le progrès de la population et de la richesse.

À cette première condition de bien connaître les Arabes pour être en mesure de leur faire accepter, sans trop de résistance, un tel accommodement, il faudrait joindre celle de n’être pas moins bien connu d’eux. Tout le mérite en effet de la transaction qu’on peut leur