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Ce sont là, avec bien d’autres que l’expérience enseignerait et dont l’énumération serait trop longue, des moyens d’indemnité, des objets d’échange pour ainsi dire, que le gouvernement tient à sa disposition tout naturellement, et en retour desquels il pourrait exiger sans injustice un concours nécessaire au progrès de la colonie ; mais il est avant tout un bien dont lui seul peut faire part sans bourse délier aux tribus arabes, et qui lui coûterait aussi peu qu’il serait profitable pour elles. Ce bien, qui leur manque à toutes et que beaucoup seraient en état d’apprécier, n’est autre chose qu’un titre régulier de propriété, car si l’incertitude des propriétés est le grand obstacle qui arrête les progrès des Européens, il ne faut pas croire que ce soit pour les Arabes eux-mêmes un état sans inconvénient et sans gêne. De tribu à tribu, les territoires, qu’aucune enceinte ne peut enclore, qu’aucun géomètre n’a bornés, ne sont le plus souvent distingués que par des usages vagues, fondés sur des traditions orales. Des usurpations successives donnent lieu à des contestations continuelles : les siècles ne suffisent pas pour consacrer les unes et terminer les autres. Dans l’intérieur de chaque tribu, de famille à famille, pour la répartition, soit du fonds lui-même, soit du droit collectif, les mêmes abus se reproduisent suivis des mêmes litiges. Et au-dessus de cette confusion universelle, plane ce mystérieux droit de haut domaine, attribué par la superstition à l’état, souvent revendiqué brutalement par la main des janissaires, et qui semble menacer toujours de sortir du nuage où il réside pour éclater comme la foudre, sans désigner d’avance ses victimes. Entre ces traditions diverses de brigandage et de despotisme, entre la conscience des torts qu’on a commis et le souvenir des iniquités qu’on a souffertes, personne ne possède dans les tribus avec la sécurité du droit et la confiance du lendemain. C’est ce trouble qu’il dépend du gouvernement français de faire cesser ; moyennant le sacrifice d’une partie de ses biens, il peut donner la sécurité, la clarté du reste. En renonçant lui-même à toutes ses revendications possibles et en se portant arbitre de tous les différends, il peut constituer pour chacun un droit nouveau résultant d’un arpentage régulier, d’un document authentique nettement écrit sur la terre et sur le parchemin, placé sous la garantie de sa parole comme sous la garde de son épée. Une telle transaction serait-elle admise facilement par les tribus ? Se résigneraient-elles sans difficulté à perdre une partie de leur avoir pour mettre l’autre sous la protection de l’honneur et du droit français ? Je crois fermement, et c’est un avis partagé par tous ceux qui ont vécu parmi les tribus, que ce langage serait entendu, mais sous diverses conditions préalables qu’il serait essentiel de ne pas méconnaître.

La première, c’est de bien choisir son interlocuteur et de ne pas