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peine, m’aura peut-être trouvé bien dédaigneux pour deux millions cinq cent mille indigènes tout venus, tout portés, tout acclimatés, pourvus de bras et non extrêmement dépourvus d’argent, et qui cultivent aujourd’hui tant bien que mal la terre d’Afrique. Ce sont là, ce semble, des forces mises à notre portée ; pourquoi ne pas chercher à en faire tout simplement usage en leur imprimant une meilleure direction, au lieu de se mettre en frais pour en faire venir de loin d’autres auxquelles on est embarrassé de trouver ensuite un point d’appui ? L’ancienne administration elle-même peut me reprocher d’avoir glissé trop légèrement sur les efforts constans auxquels elle s’est livrée pour répandre chez les Arabes de plus saines notions d’agriculture, d’économie politique, pour leur inspirer des habitudes plus sédentaires, pour les initier, comme on dit, aux bienfaits et aux lumières de la civilisation. Rien n’est pourtant plus loin de ma pensée que de déjouer de nobles espérances ou de dénigrer de généreuses tentatives ; mais ce n’est pas moi, c’est la société arabe telle qu’elle existe, tant qu’elle restera telle, qui condamne fatalement tous ces vœux et tous ces efforts à s’évanouir dans l’impuissance. Avec le principe communiste qui fait la base de la société arabe, compter sur un progrès quelconque, c’est se bercer d’une chimère, et y travailler, c’est lutter contre l’impossible. La propriété collective, c’est, quoi qu’on fasse, la barbarie en permanence et en perpétuité, car, en interdisant à l’homme tout espoir, elle le décourage de tout travail, et en attachant à la même glèbe l’ouvrier laborieux et le dissipateur fainéant, elle a pour effet inévitable d’enchaîner fatalement aussi le lendemain à la veille. Il y a là une école de paresse et d’inertie qui prévaudra indéfiniment sur les exemples les plus édifians et les instructions les plus éclairées que l’administration française pourra donner. Je ne m’oppose par conséquent à aucun des essais qu’on peut mettre en avant pour faire l’éducation agricole de la tribu. J’approuve fort par exemple qu’on ouvre dans les grandes villes des écoles arabes, pourvu cependant qu’on n’y enseigne qu’avec réserve les passages du Coran qui ordonnent de se débarrasser à tout prix des maîtres étrangers. Je ne vois aucun inconvénient à obliger les kaïds que nous désignons à se bâtir des maisons de pierre, qu’ils laissent à la vérité habituellement vides pour continuer à demeurer sous la tente. Je ne conteste pas le profit qu’on trouve à tondre des moutons avec de bons ciseaux au lieu de leur écorcher la peau avec une serpe barbare. Les brillantes courses de chevaux instituées à Alger peuvent être très utiles afin d’inspirer aux cavaliers arabes pour leurs montures, sinon cet attachement passionné que les romances leur supposent je ne sais pourquoi, au moins un peu de soin et un peu de pitié. Néanmoins tous ces divers moyens d’éducation ne seront jamais que des remèdes très superficiels, agissant