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villes, préparée par Etienne Marcel, n’eût point été funeste à l’unité nationale, car le gouvernement des états-généraux, qu’il voulait souverains dans toutes les questions d’intérêt public, n’avait rien de contraire au génie français. Combien de villes ne vit-on pas fidèles jusqu’à la dernière heure à la cause que soutenaient les Parisiens : Rouen, Beauvais, Senlis, Amiens, Meaux, Laon, Corbie, les villes d’Auvergne et de Languedoc ! » On pouvait donc, au XIVe siècle, tout faire à la fois : chasser l’étranger, créer l’unité, donner à tous les citoyens une juste part dans le gouvernement de leurs affaires ; « la révolution française, selon toute apparence, en eût été avancée de quelques siècles, et elle n’eût coûté ni tant de sang ni tant de ruines. » Les rois s’étant refusés à cette œuvre magnifique, il a fallu que le peuple se tirât péniblement d’affaire lui-même. Nos pères ne furent redevables qu’à eux-mêmes de la prépondérance qu’ils finirent par conquérir. C’est en se serrant pour résister aux invasions anglaises qu’ils apprirent à se croire solidaires. La nécessité de combattre à pied força les bourgeois et les manans à s’unir ; la solidarité des champs de bataille porta ensuite ses fruits dans la vie de tous les jours. Ce que savaient déjà les bourgeois, la jacquerie l’apprit au peuple des campagnes. Ce n’est pas le pouvoir absolu qui a chassé l’étranger ; « la légende de Jeanne d’Arc n’est autre chose que le réveil du génie national. » Enfin l’auteur conclut par ce jugement plus que sévère : si les rois n’ont pas mis obstacle à l’indépendance et à l’unité de la nation, c’est qu’ils y avaient intérêt aussi bien que les peuples, et c’est toute la part qu’ils y ont prise ; quant à la liberté, ils l’étouffèrent, « parce que » la nation seule y pouvait gagner.

Ces assertions acerbes, et qui annoncent trop de parti-pris pour que la gravité de l’histoire s’en accommode, sont dans leur généralité souverainement injustes. D’abord la monarchie française a eu une première période de trois siècles, de Hugues Capet à Philippe le Bel, pendant laquelle l’idée même des états-généraux n’existait pas ; les rois n’ont donc pu alors les entraver ni les étouffer, et pourtant que d’innovations dans le sens populaire durant cette période ! Combien de choses se sont faites ! et combien la royauté de Hugues ressemble peu à celle de Philippe ! Les grands possesseurs de fiefs ont été rattachés ou soumis à la couronne, et la nation a retrouvé un centre. De nombreuses provinces ont été annexées. Les communes, dont quelques-unes s’étaient affranchies par leurs propres efforts, se sont liées entre elles par le seul lien qui fût possible, par l’intermédiaire de la royauté, et ont affermi leur droit en entrant ainsi dans le système de l’état. Le droit seigneurial des guerres privées a été, avec l’aide de l’église, d’abord réglementé, puis restreint, et s’il n’était pas complètement aboli en fait, le principe de ce droit avait reçu le coup mortel : œuvre longue, difficile, quelque chose comme un débrouillement graduel du chaos ! L’organisation judiciaire était poussée assez loin pour ne pouvoir plus reculer ; les justices locales, arbitraires, barbares, étaient attaquées, réformées, soumises à l’appel ; l’institution