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l’ouest de ce pont, d’où part une route qui mène à la Résidence. Sir Colin ne veut point de combats de rues. Il jettera bas, à coups de canon, leurs murailles de boue, puis bombardera les palais qui forment le centre et la véritable défense des positions de l’ennemi. Ils sont situés à l’est de la ville, et presque en ligne parallèle avec la route de la Résidence, au nord et au sud des faubourgs qui confinent la rivière. Le chemin que compte suivre sir Colin lui est familier, car c’est celui qu’il a déjà parcouru lorsqu’il allait relever la garnison commandée par Havelock et Outram. Tout ce qu’on a dit des forces qu’il dirigeait lors de cette mémorable expédition, d’après les calculs faits en Angleterre, est marqué au coin de l’exagération la plus ridicule. Ceci vient du mystère tout à fait vénitien que le gouvernement de l’Inde affecte si volontiers. De là des méprises inévitables qui égarent l’opinion publique, obligée d’établir ses calculs sur les données fausses que lui fournit la presse de Calcutta. Quand sir Colin, au mois de novembre dernier, marcha sur Lucknow, — j’ai vu aujourd’hui même les rapports et tableaux officiels, — il n’avait en tout, infanterie et cavalerie, que 5,536 hommes (dont 946 cavaliers)[1]. Là-dessus il fallut prélever à peu près mille hommes, qu’il laissa dans la Delkooshat, lorsqu’il se mit en route pour percer jusqu’à la Résidence. À Cawnpore, en novembre dernier, Wyndham commandait à 2,402 hommes. Lorsque Havelock et Outram se jetèrent dans la Résidence, ils avaient 2,683 hommes et 527 chevaux. »


Dans l’intervalle de ces confidences stratégiques, le spirituel voyageur aimait à étudier l’organisation de ces villes bicéphales qu’on appelle des stations. Ses observations méritent d’être rapidement analysées. Deux populations parfaitement isolées l’une de l’autre habitent une cité anglo-indienne. Le cantonnement européen est d’un côté ; de l’autre, la ville indigène et le bazar. Aucun trait d’union entre les deux : ni le langage, ni la foi, ni la nationalité ne les rattache. Le cantonnement sis à l’ouest est séparé de la ville sise à l’est par un grand terrain vague, ou par des champs, ou par des jardins. L’occident gouverne, recueille les impôts, donne des bals, se promène en carrosse, suit les courses, fréquente l’église, améliore les routes, se bâtit des théâtres, organise ses loges maçonniques, tient séance à la cutcherry[2], et boit sa pale ale. L’orient

  1. Les chiffres du colonel Bourchier sont tout à fait d’accord avec ceux-ci. Les voici :
    Hommes
    Brigade navale et artillerie 400
    Cavalerie 900
    Infanterie 3,200
    Sapeurs 200
    4,700 hommes.


    Dans ce chiffre n’est pas comprise la petite garnison laissée à l’Alumbagh. Quant à l’artillerie, elle se composait de 12 pièces de siège, 10 mortiers et 27 pièces de campagne, — total, 49 pièces.

  2. La cutcherry est le tribunal à la fois administratif et judiciaire où siège le représentant de l’autorité britannique.