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presbytérien, ce chrétien si rigide, en le consultant avec affectation sur les détails les plus intimes de sa vie de jeune homme, La situation est vraiment plaisante, et nous voudrions tous savoir ici quels sont les avis donnés au maharajah sur ces sujets croustilleux par notre digne et sévère commissioner. »

L’analyse des entretiens que le correspondant du Times eut dans ces premiers jours avec le général en chef donne une valeur historique à son journal. On nous permettra donc d’en détacher quelques passages caractéristiques :


« 18 février 1858. — Il était tard, ce soir, quand nous nous sommes séparés après avoir dîné à la mess, car nos amis ont toujours beaucoup à bavarder sur cette guerre de Crimée, déjà si loin de nous ; mais il faisait un magnifique clair de lune, et la route seule sépare le bosquet dans lequel se dresse le camp des rifles de la plaine sablonneuse où s’élèvent les tentes du quartier-général. Pas un être vivant ne se montrait ni sur la route ni dans la plaine. Les tentes brillaient comme des cônes de neige. Aucune sentinelle ne me cria qui vive ? quand je pénétrai dans la principale avenue du camp, la grande rue, c’est ainsi que nous l’appelons. On n’entendait pas une voix humaine ; pourtant mon regard, qui parcourait cette rue d’un bout à l’autre, rencontra, tout à l’extrémité, la forme mouvante d’un individu, qui se promenait, la tête basse, comme absorbé en ses pensées. En m’approchant, je reconnus le général en chef, sa figure bien caractérisée, sa taille et sa démarche de soldat. C’était sir Colin, qui peut-être se perdait dans le même ordre de méditations que Shakspeare attribue à son Henry la veille de la Saint-Crispin. Nous eûmes là une longue et intéressante conversation. Sir Colin attache la plus grande, la plus vitale importance à ce qu’on manie habilement les soldats qui pour la première fois vont au feu. — Il se passera quelquefois des années, disait-il, avant qu’une infanterie à laquelle on a fait essuyer quelque rude échec ait repris quelque confiance en elle-même. Peut-être même cette confiance ne renaîtra-t-elle jamais, à moins qu’elle ne passe sous les ordres des chefs les plus judicieux. La cavalerie, une fois battue, est peut-être plus longtemps encore à recouvrer cet entrain (dash), cet esprit d’aventure, qui constituent la meilleure portion de son mérite. — J’ai cru comprendre que sir Colin faisait allusion à la manière dont certains régimens, sous les ordres de Wyndham, viennent de se conduire à Cawnpore. C’étaient de fait les mêmes qui, devant le redan, à Sébastopol, ont subi successivement deux échecs assez connus.

« 20 février. —… Vu le chef et acquis une prénotion assez claire de son plan d’attaque. Nous nous emparerons d’abord de la Delkooshat (un palais entouré d’un vaste parc très bien clos), située sur la rivière Goumti, au sud-est de la ville. De là nous marcherons contre les ouvrages élevés par l’ennemi, et qui, à partir de la Goumti, bordent la cité sur toute la ligne du Vieux-Canal jusqu’au pont que Havelock et Outram traversèrent pour entrer à Lucknow. La ville prisé en bloc (un labyrinthe de petites ruelles étroites et tortueuses presque aussi vaste que Paris) s’étend au nord et à