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sur le mur[1] (scratched upon the walls). Les malheureuses prisonnières y dépeignaient leurs souffrances, et conviaient leurs compatriotes à des représailles expiatoires. »


Quatre mois plus tard (février 1858), c’est M. William Russell qui traverse à son tour la « cité dolente. » Ses impressions ne ressemblent en rien à celles du colonel Bourchier. Le temps a calmé les esprits, éteint les colères trop vives. M. Russell d’ailleurs, sur toute sa route, a pu s’assurer que l’expiation a égalé, si horribles qu’ils fussent, les crimes commis. Il a entendu, non sans dégoût, des officiers, des gentlemen, se vanter de leurs expéditions à la Montluc. Son esprit pénétrant et juste, son remarquable bon sens, l’avertissent qu’il ne faut plus échauffer, mais calmer les passions jusque-là surexcitées, « Prenons garde, dit-il, de nous placer à un point de vue trop exclusivement anglais ; évitons surtout de prendre au mot ces fabricateurs de récits mensongers qui ont grossi de tant de fables un récit déjà bien assez chargé d’horreurs. Ce n’est pas la première fois qu’au mépris d’une capitulation, des garnisons désarmées ont été massacrées ; ce n’est pas la première fois que des hommes, des femmes, des enfans, ont péri sous le glaive des ennemis de leur race. Rappelons-nous, sous Mithridate, la révolte du Pont ; celle des catholiques d’Irlande contre les colons protestans (1641) ; rappelons-nous les vêpres siciliennes et les assassins de la Saint-Barthélémy… Ce qui caractérise d’une manière spéciale les tueries de Cawnpore, c’est qu’elles sont le fait d’une race courbée sous le joug, d’hommes noirs qui ont osé verser le sang de leurs maîtres et celui des femmes, des enfans appartenant à leurs maîtres. Il n’y a point eu ici simplement une guerre servile et une espèce de jacquerie combinées : il y a eu guerre de religions, guerre de races, guerre de vengeance, d’espoir indéfini, d’instincts patriotiques, qui poussaient à briser une domination étrangère, à rétablir le plein pouvoir des chefs indigènes, la pleine suprématie des cultes nationaux. Quelles qu’aient été les causes de la révolte, il est assez évident que ceux qui la dirigeaient, — mus en quelque sorte par une impulsion commune, — comptaient, parmi les moyens de la rendre

  1. Après une longue et inutile conversation avec l’ayah de sir Hugh Wheeler, — conversation a laquelle cette vieille femme mit fin par un soudain éclat de larmes, — M. William Russell écrit ces lignes dans son journal : « Un seul fait est clairement établi, c’est que l’inscription placée, disait-on, derrière la porte de la Slaughter-house, — paroles qui remuèrent si fort Calcutta, qui de là retentirent par toute l’Inde, et rendirent furieux tant de braves soldats, — cette inscription n’existait pas lorsque Havelock pénétra dans ce lieu fatal. En revanche, elle a été gravée, à la pointe des sabres ou des baïonnettes, sur le mur du « retranchement de Wheeler » et sur ceux de plusieurs bungalows. » (My Diary, etc., t.Ier, p. 191.)