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en ce moment dans la place. Il s’écoula neuf jours entiers avant que parût le premier détachement envoyé au secours de l’une des plus importantes stations de l’Inde. Ce détachement se composait, — le croira-t-on ? — de soixante-cinq invalides pris dans le dépôt de Chunar[1]. Encore une fois, pourquoi ces mêmes cipayes qui, le 6 juin, après avoir vingt fois fait solennelle profession de leur fidélité au drapeau, massacraient traîtreusement leurs officiers, attendirent-ils jusqu’alors ?

D’Allahabad à Cawnpore, une partie du chemin se fait sur un tronçon de railway long de soixante-cinq milles : quatre heures et demie de trajet. À Khaga, c’est le nom de la station finale, du terminus) comme disent nos voisins, les gharrys manquaient. Le voyageur employa en promenades ses trois heures de halte forcée autour de quelques misérables tentes. Il errait au hasard parmi les champs de dall (plante légumineuse à hautes tiges), effrayant au même degré les femmes jeunes ou vieilles et les familles ombreuses de quadrumanes qui s’ébattaient parmi les arbres. À l’aspect de l’homme blanc, » les singes grinçaient des dents et lui envoyaient des malédictions expressives, les guenons emportaient leurs petits sur les plus hautes branches : antipathie de race après tout !

Les gharrys arrivés, on repartit sur les cinq heures de l’après-midi. À sept heures, on fit halte à Futtehpore, afin de ne pas débarquer en pleines ténèbres dans une ville où l’on n’avait pas de gîte assuré. Le 12 février, à six heures et demie du matin, — après une nuit où les voyageurs avaient souffert du froid plus qu’ils ne s’y attendaient sous ce brûlant climat, — le lieutenant Stewart réveilla son compagnon par ces mots expressifs : « Regardez,… voici Cawnpore ! »


II

Cawnpore ! nom tragique qui sonne à l’oreille comme un glas, et saisit l’imagination par les sanglans souvenirs qu’il évoque !… Pour

  1. Le 27 mai arrivèrent les premières troupes envoyées de Calcutta. Il fallut les expédier immédiatement à Cawnpore. Le jour de la révolte (6 juin), il n’y avait pas deux cents Européens dans le fort d’Allahabad. Sur ces deux cents hommes, soixante-cinq invalides et cent individus n’appartenaient pas à l’armée. Nous ne parlons pas de quatre cents soldats sikhs, d’une loyauté fort douteuse et fort ébranlée, dont on n’obtenait, à force de complaisances, qu’un semblant de discipline. Neill arriva le 11 juin. Sait-on ce qu’il amenait ? Quarante-trois hommes. Une de ses premières mesures fut d’expulser du fort les Sikhs, dont il se méfiait à bon droit, et de les loger dans quelques masures protégées et dominées par son artillerie. Sept jours après son arrivée cependant, il prenait l’offensive, et faisait évacuer la ville par les rebelles, tout à coup saisis d’une terreur panique.