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Nous trouverions sans doute, en y regardant de près, quelques mouvemens militaires et quelques combats sans importance dans le courant du mois de janvier 1858 ; mais nous n’écrivons pas une histoire, et on nous excusera de les passer sous silence. Revenons donc vers Cawnpore, où, après la réoccupation de Futtehghur, sir Colin Campbell était venu achever ses préparatifs de marche.


I

Dûment muni d’un post-dâk qui équivaut à ce que les Russes appellent un padarodjnie, c’est-à-dire d’un passeport officiel donnant droit à un dâk ou relais de chevaux sur tout le parcours d’une route déterminée, M. William Russell, qui voyageait avec tout l’empressement réclamé par son importante mission, partit le 4 février 1858 de Calcutta par un chemin de fer de cent vingt milles de long, qui le conduisit, en sept ou huit heures, jusqu’à Raneegunj. Là cessait le railway, là commençait le gharry. Le gharry est une litière sur quatre roues, percée de deux ouvertures latérales, au-dessus desquelles une espèce de tendelet en toile fait comme une sorte de parasol à demeure. Le fond de la voiture devient lit au besoin, grâce à un matelas de forme spéciale qu’on établit entre les banquettes et des coffres qui, servant de sièges, recèlent en outre les provisions de bouche. Les armes sont accrochées aux parois de cette alcôve roulante ; sur l’impériale s’amoncellent les caisses et paquets. Le valet de chambre y perche comme il peut. Le tout est qualifié par M. Russell de « chariots de blanchisseuses passés à l’état de pénitentiaires. » D’après lui cependant, le boyard moscovite n’est pas plus mal à l’aise dans son tarantasse que le voyageur anglo-indien étendu dans son gharry ; donc l’amour-propre est sauf : c’est l’essentiel. Une roue cassée, un orage tropical, mais surtout l’avis charitable donné au voyageur que, peu de jours auparavant, un tigre s’était embusqué sur la route même où galopait son rapide attelage, lui firent nettement comprendre en quel pays il courait la poste. Beaucoup d’oiseaux au bord des nombreux étangs ou perchés sur les fils télégraphiques, de charmans écureuils zébrés sur les arbres qui bordent la route (great Trunk Road), — peu de villages en perspective, — ils se cachent volontiers derrière d’épais bouquets d’arbres et loin des chemins publics, — d’affreux vautours étirant leurs longs cous chauves sur les branches nues de quelque arbre flétri, des nuages de poussière et de moustiques, voilà les principaux traits du paysage entrevu. Quand on fait halte au dâk-bungalow, c’est-à-dire au relais, on trouve à peu près invariablement le même quadrangle de maçonnerie, haut d’un étage, surmonté d’un toit, chaume ou