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traditions de la Hongrie, lumineux océan situé aux confins de l’univers et qui conduit dans l’infini. János, sur les épaules d’un géant, traverse les ondes sacrées et parvient au royaume de l’Amour, où il retrouve Iluska. Puisse la Hongrie retrouver aussi un jour le trésor qu’elle a perdu !

Ainsi, des scènes rustiques du village jusqu’aux splendeurs à demi orientales d’un monde surnaturel, le Héros János embrasse toutes les légendes et tous les souvenirs de l’imagination populaire. Avec cela, nulle prétention savante ; ces symboles que j’indiquais tout à l’heure, le poète se garde bien d’y insister ; il veut que sa fantaisie épique soit accessible à tous ; si les uns en devinent la pensée secrète, il suffit que les autres ressentent une gaieté virile au récit de ces merveilleuses aventures. Avant tout, c’est le poème du paysan et du cavalier magyar écrit avec un mélange d’enthousiasme et de joyeuse allégresse. On dit que l’œuvre de Petoefi est chantée du Danube aux Carpathes par des rapsodes sans nombre, et vraiment je n’ai pas de peine à le croire ; le véritable héros est la Hongrie elle-même : János en représente tour à tour les différentes classes confondues dans la radieuse unité de la poésie. Et quelle poésie ! un style franc, une imagination alerte, un récit enthousiaste et joyeux, qui court, bride abattue, comme le hussard dans les plaines natales.

À l’époque où Petoefi composait le Héros János, il avait eu occasion de rencontrer deux ou trois fois à Pesth une jeune fille noble dont la grâce l’avait charmé ; elle mourut subitement, quelques jours après, à peine âgée de quinze ans, et le poète, qui connaissait sa famille, ayant vu l’enfant sur son lit de mort, sentit soudain à l’émotion de son cœur qu’il était amoureux d’elle. Était-ce par une sorte de prétention bizarre qu’il se mit à célébrer cet amour ? Était-ce un thème de poésie qu’il cherchait ? Tous ceux qui l’ont connu sont unanimes pour attester la franchise et l’impétuosité de ses sentimens. Les touchantes pièces intitulées Feuilles de cyprès, qu’il a consacrées à cette passion idéale, expriment une douleur aussi chaste que violente. Son âme, en effet, commençait à se dégager des instincts désordonnés de la jeunesse. À ses amours d’étudiant vagabond succédaient des affections plus pures. Cette blanche Etelka, si subitement adorée au sein de la mort, lui a inspiré quelquefois des accens dignes de Pétrarque. C’est ici le premier symptôme d’une transformation morale qui va se dessiner de plus en plus chez Petoefi, et qui donne un intérêt singulier à cette existence trop tôt interrompue. L’amour, dans cette nature fougueuse, s’unira désormais aux plus nobles passions qui puissent faire battre le cœur de l’homme, à l’enthousiasme de l’art, au culte de la patrie et de la liberté.- Quelques mois plus tard, après qu’il a fini de chanter Etelka,