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les Barberini, les neveux du saint-père : Taddée, le plus jeune, qui devait un jour épouser Anna Colonna et devenir préfet de Rome et général de l’église ; le cardinal Antoine, qui jouera un assez grand rôle dans la vie de Mazarin, surtout leur frère aîné François, qui était à peu près à la tête du gouvernement, et qu’on appelait le cardinal-neveu. Mazarin souhaitait vivement entrer au service du cardinal Antoine ; mais les nombreux courtisans qui environnaient le cardinal firent obstacle au jeune officier, dans lequel ils apercevaient un rival redoutable.

Est-il vrai qu’alors, parmi les personnages considérables, dont il recherchait les bonnes grâces, Mazarin ait réussi à gagner celles de l’illustre cardinal Guido Bentivoglio, qui, revenu de ses nonciatures[1] de Flandre et de France depuis 1621, était à Rome protecteur de France, c’est-à-dire chargé des intérêts français et secondant notre ambassadeur dans toutes ses démarches. Bentivoglio était assurément le meilleur ami qu’un jeune homme pût rencontrer, le plus capable de discerner le talent et de lui frayer sa route. Un document assez peu sûr, mais dont il est difficile de ne tenir aucun compte[2], nous montre Mazarin vers cette époque de sa vie au service ou du moins dans la faveur du cardinal, qui l’aurait présenté lui-même au cardinal-ministre, François Barberini, en lui disant : « Je vous le donne, parce que je ne suis pas digne de le garder. En vous faisant ce présent, je crois m’acquitter envers une illustre famille d’une partie des obligations que je lui ai. » Le cardinal-ministre, surpris de ce compliment auquel il ne s’attendait pas, n’ayant pas encore ouï parler du jeune Mazarin, répondit : « Je l’accepte avec joie venant de votre main ; mais, dites-moi, à quoi le jugez-vous propre ? — A tout sans exception, dit Bentivoglio. — Si cela est, reprit le cardinal Barberini, nous ne saurions mieux faire que de l’envoyer en Lombardie avec le cardinal Ginetti : nous ayons besoin d’un homme actif auprès de lui. Parlez-lui en de ma part. — Bentivoglio

  1. Né à Ferrare en 1579, successivement nonce en Flandre et en France, cardinal en 1621, évêque de Palestrine en 1641, mort on septembre 1644, quelques mois après Urbain VIII. Ses œuvres ont été recueillies en un volume in-folio, Paris 1645. Tout récemment on a publié à Turin des lettres écrites par le cardinal pendant sa nonciature de France qui jettent le plus grand jour sur le ministère du maréchal d’Ancre et sur celui du duc de Luynes. Qui ne connaît l’admirable portrait de Bentivoglio gravé par Morin ?
  2. Ce document nous est fourni par Brienne le fils dans ses mémoires inédits, t. Ier, p. 283. C’est une relation d’un ambassadeur de Venise à Rome, datée de l’année 1639, que Brienne prétend avoir vue et qu’il cite textuellement. Brienne n’est pas sans doute une autorité bien solide ; il peut avoir plus ou moins altéré cette relation, mais il ne l’a pas inventée. Reste à supposer que c’est une pièce apocryphe et faite après coup qu’il aura prise pour authentique : cela est fort possible ; mais dès 1621 Bentivoglio était de retour à Rome de sa nonciature en France, et il a très bien pu, de 1621 a 1628, connaître et favoriser Mazarin.