Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/935

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au XVIIe et au XVIIIe siècle, soumettaient la langue hongroise à leurs doctes analyses et la comparaient avec les idiomes asiatiques), le premier qui ait signalé à l’Europe les destinées littéraires de la Hongrie, c’est M. Louis Wachler dans son Manuel de l’histoire de la Littérature. Encore M. Wachler se borne-t-il à des indications rapides et bien insuffisantes. Aujourd’hui, grâce aux efforts de M. Kertbény, cette histoire commence à se débrouiller. Nous savons du moins quelle était la situation des lettres hongroises quand Petoefi composa ses premiers vers, nous connaissons ses maîtres, ses émules, ses disciples, et nous pouvons marquer avec précision ce qui fait l’originalité de son talent.

Les témoignages qui nous restent de la primitive poésie des Hongrois ne paraissent pas remonter au-delà du XVIe siècle. Au milieu des guerres du moyen âge, quand les rois de la dynastie d’Arpad luttaient contre les Tartares, quand un petit-neveu de saint Louis, chef d’une dynastie nouvelle, anéantissait enfin ces sauvages, quand les Hunyades refoulaient si vaillamment les Turcs et les rejetaient vers le Bosphore, n’y avait-il pas des chants populaires pour consacrer le nom des héros ? Il est difficile de croire que chez un peuple si vif, si chevaleresque, si prompt à sentir et à exprimer ce qu’il sent, les défenseurs de l’Europe contre la barbarie asiatique n’aient pas été célébrés par de naïfs rapsodes. Malheureusement, s’il reste encore quelques traces de ces vieux poèmes, personne n’a songé à les recueillir. Au XVIe siècle seulement, après le désastre de 1524, quand Louis II est vaincu à Mohacs et que la Hongrie subit le joug des Turcs, on voit paraître des poètes qui entretiennent par leurs chants l’ardeur du sentiment national. Telle est l’inspiration de Pierre Illosvai lorsqu’il écrit son poème de Toldi, si populaire au XVIe siècle, et rajeuni de nos jours par M. Jean Arany. Ce Toldi, espèce de rustre héroïque qui, traité en criminel et forcé de vivre dans les bois, finit par délivrer son pays d’un ennemi implacable, est bien l’image du peuple hongrois pendant l’invasion ottomane. Les malheurs publics d’un côté, de l’autre la culture savante de la cour et des hautes classes, ne tardèrent pas à étouffer ce naïf essor d’une poésie nationale. Sous Mathias Corvin, au XVe siècle, c’était à l’Italie de la renaissance que la Hongrie avait demandé des élémens de civilisation ; au XVIe, ce fut l’esprit nouveau de l’Allemagne qui remplaça l’influence italienne. La réforme pénétra de bonne heure chez les Magyars, fonda parmi eux des imprimeries, y institua des écoles ; le catholicisme résista de son mieux, et bientôt la milice de saint Ignace parut sur le champ de bataille. Que pouvait devenir, au milieu de ces luttes, une littérature nationale si peu sûre de ses forces ? Si la langue des ancêtres se transmettait encore de génération en