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anciennement déjà, ces faits avaient frappé l’esprit des militaires, et le père Daniel, dans son intéressante Histoire de la milice française, mentionne un canon qui devait se charger par la culasse. À cette époque, on ne possédait pas les moyens d’exécution nécessaires pour appliquer cette idée avec quelques chances de succès, et elle était reléguée au nombre des utopies. Depuis une quinzaine d’années, des essais tentés en Piémont par le capitaine Cavalli, en Suède par le baron Wahrendorf et M. Hanström, ont ramené l’attention sur ce point. M. Wahrendorf surtout, riche propriétaire de mines, a cherché à répandre des procédés qui pouvaient à la fois populariser son nom et faciliter l’écoulement des produits de ses usines.

La grande difficulté était d’obtenir une fermeture très complète de la culasse. S’il n’est pas aisé en effet d’empêcher le crachement de la petite quantité de poudre renfermée dans un fusil, ne doit-on pas regarder comme chimérique l’espoir d’interdire tout passage à l’énorme quantité de gaz qui se développe dans une grosse bouche à feu ? Dans les canons piémontais et suédois, on a essayé de réunir la culasse à la volée du canon[1], soit par des crochets serrés avec des coins qui l’agrafent à un bourrelet de la volée, soit en introduisant la partie mobile dans une ouverture ovale contre les rebords de laquelle elle est maintenue par des arrêts intérieurs. Quelque choix que l’on fasse entre ces deux procédés, la fermeture est insuffisante et ne résiste point à l’énorme pression de la poudre. Il faut de toute nécessité préserver la culasse de l’action des gaz au moyen d’une pièce transversale, un obturateur, qui traverse la volée de part en part. Voilà donc trois ouvertures à faire dans la partie du canon qui a besoin de la plus grande résistance, trois chances offertes à une déperdition de gaz. L’obturateur, s’il préserve assez bien la culasse, prend à son compte le plus grand effort de la pression ; aussi, pour éviter qu’il ne se brise, le fait-on en acier fondu de la meilleure qualité, et malgré cette précaution il ne peut jamais résister qu’à un petit nombre de coups. Cet inconvénient ne serait encore que médiocre, attendu la facilité d’avoir des rechanges pour une pièce aussi peu volumineuse, mais il est à craindre que l’obturateur, venant à se fausser, ne puisse être retiré, ou qu’il ne déforme l’ouverture destinée à lui donner passage. Le mal alors serait irréparable, les fuites de gaz, si faibles qu’elles soient d’abord, s’accroissent avec une désolante rapidité ; le tir perd de sa justesse, et devient bientôt dangereux pour les canonniers. Aussi aucun des inventeurs suédois ou piémontais n’est-il parvenu, malgré des qualités

  1. La volée d’un canon est la partie de la pièce comprise entre la culasse et la bouche.