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Le 17 septembre 1854, la flotte anglo-française fit contre Sébastopol une démonstration, restée sans succès pour des motifs qui ne sont pas de notre sujet ; en quatre heures de temps, elle vomit cinquante mille projectiles, boulets ou obus, ce qui représente en poudre et en fer un poids de plus d’un million de kilogrammes. Rarement pourra-t-on disposer d’une semblable masse de projectiles dans un temps aussi court. Qu’a-t-on produit cependant sur l’espace si vaste exposé aux coups de la flotte anglo-française ? Comme effet de destruction, peu de chose ; comme effet incendiaire, absolument rien. C’est le cas ou jamais de répéter que le ministre des finances doit seul trembler à l’idée d’un pareil déploiement de forces. Certes nous sommes loin de nier l’efficacité d’un bombardement, nous voudrions seulement le faire apprécier à sa juste valeur, et nous pensons qu’il n’offre pas les dangers d’une simple canonnade, dont on s’inquiète beaucoup moins. Il est possible, par de sages mesures, telles que l’extinction des foyers dans les maisons, l’éloignement des pailles et autres matières combustibles, surtout par une surveillance exacte, de réduire dans une énorme proportion, d’annuler même les désastres causés par les projectiles creux. Le projectile véritablement incendiaire de l’artillerie moderne est le boulet rouge, à peu près abandonné aujourd’hui à cause du temps très long nécessaire pour l’échauffer et de la difficulté de le faire manœuvrer par les canonniers. Cet abandon ne paraît pas bien justifié, car le boulet rouge est redoutable ; la quantité de chaleur qu’il contient est énorme, et il produit des effets assurés. Un seul boulet a obligé en 1815 la ville de Maubeuge à capituler, en réduisant en cendres l’église principale et tous les magasins qu’elle contenait. Les dangers que présente pour les canonniers le tir des boulets rouges sont plus apparens que réels, car les bouchons de foin mouillé qui séparent la charge du boulet offrent une garantie suffisante ; mais la vapeur qui sort du canon à flots pressés jette le trouble parmi les servans, et l’on n’obtient aucune précision, s’ils ne sont des soldats sûrs et expérimentés comme il ne s’en rencontre que trop rarement.


II

Jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, on le voit, il n’y avait jamais eu en aucun pays de système d’artillerie complet et coordonné. Depuis, on a marché d’une manière lente, mais continue, vers la simplification du matériel. En France, depuis la guerre de Crimée, de grands pas ont été faits dans cette voie, et à l’étranger les mêmes principes ont conduit à des améliorations partielles du matériel de Gribeauval, adopté successivement partout et mis en rapport avec les mesures locales. Un progrès important surtout fut réalisé ; il consistait