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plus tard, qui étaient alternativement portés sur des charrettes et manœuvres par un ou plusieurs hommes pendant le combat.

Il ne faudrait pas inférer de cette origine que les armes à feu portatives aient paru les premières sur les champs de bataille. Longtemps au contraire une fabrication défectueuse les laissa dans un état complet d’infériorité relativement aux anciennes armes de jet, dont l’usage était plus sûr et plus rapide, tandis que dès l’abord un boulet lancé par un tube droit eut une justesse très supérieure à celle de toutes les machines de guerre fixes, aussi devait-il venir bien vite à l’esprit de s’en servir dans les sièges. De là des tentatives persistantes pour obtenir une puissance de destruction capable de renverser les maçonneries, tentatives qui amenèrent l’augmentation des calibres. L’état des arts métallurgiques au XIVe siècle explique assez pourquoi il n’apparut pendant toute cette période que des essais informes. Les premiers produits de cet art grossier qui soient dignes d’intérêt peuvent se voir encore près de la porte d’entrée du Mont-Saint-Michel. Les ciceroni signalent à l’attention des visiteurs attirés par la réputation si légitime de cette célèbre abbaye deux canons abandonnes par les Anglais lors de leur attaque infructueuse en 1483. Ces canons ont près de 2 mètres de longueur totale, possèdent une chambre pour loger la poudre, et une âme ou vide intérieur, d’à peu près 25 centimètres pour l’un, et 20 pour l’autre[1]. Malgré la rouille qui les a rongées, les formes de ces pièces sont encore très apparentes, et la fabrication témoigne déjà d’un certain progrès. La tradition n’a conservé aucun souvenir des boulets qu’elles devaient lancer ; mais à cette époque la fonte, la pierre, le plomb, le cuivre même, s’employaient indifféremment, suivant qu’on en pouvait disposer, et des armes pareilles recevaient des projectiles arrondis, allongés ou de formes variées, sans qu’il y eût de règles à cet égard. La même diversité régnait dans la fabrication des pièces, tantôt fondues à la manière des cloches, tantôt composées de fragmens forgés, rapprochés les uns des autres et renforcés au moyen de cercles et de cordages. De pareilles machines ne pouvaient résister qu’à un petit nombre de coups ; encore fallait-il que la poudre n’eût qu’une médiocre énergie. Elles eurent cependant une remarquable influence sur la conduite des guerres ; les forteresses orgueilleuses du moyen âge succombèrent toutes devant elles ; il fallut abandonner ces tours et ces hautes murailles dont les villes se glorifiaient d’être entourées ; l’art de la fortification, qui avait peu changé depuis les temps de la guerre de Troie et des

  1. Ces dimensions nous portent à penser qu’il s’est glissé une erreur d’échelle dans une publication récente sur l’artillerie du capitaine Martin de Brette, qui contient d’ailleurs une fort belle collection de dessins parfaitement exécutés.