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bien d’ordinaire une quarantaine de navires mouillés en rade[1]. On réclame avec instance des améliorations aux règlemens administratifs qui prolongent le séjour des capitaines, pour leurs opérations, au-delà du temps strictement nécessaire.

La supériorité de la rade de Saint-Paul sur celle de Saint-Denis a inspiré l’idée d’y faire aboutir un chemin de fer, à traction de chevaux, qui recevrait les cargaisons et de là les conduirait au chef-lieu de l’île et plus loin. Pour l’étudier et l’exécuter, une société s’est formée et a été approuvée en 1858. Depuis lors, il s’est fait autour d’elle un silence de mauvais augure, qu’explique, outre la difficulté du tracé, la crainte d’un déplacement probable d’intérêts et d’influences. Il serait beau de voir les rivalités locales céder à la haute utilité d’une ligne ferrée, qui relierait en une vivante et intime unité tous les quartiers, toutes les communes et presque toutes les habitations[2]. Dès à présent, la télégraphie électrique pourrait préluder à cette union : nul pays ne s’y prêterait mieux que cette petite île, aux contours elliptiques, aux courts diamètres. L’on y pense, et l’on pense même à prolonger la ligne électrique jusqu’à Maurice d’une part, jusqu’au cap de Bonne-Espérance de l’autre. De Maurice, un câble sous-marin irait rejoindre l’Australie, Ceylan et l’Inde, Aden et Suez. Tels sont les grands projets que font naître les succès déjà obtenus pour la rapidité des communications entre l’Europe et ses colonies de l’Océan-Indien. Il y a quelques années à peine, les îles sœurs étaient à trois mois de distance de leurs métropoles, et souvent à quatre et cinq mois : rattachées aujourd’hui par un service spécial sur Aden à la Compagnie péninsulaire et orientale, qui dessert l’Australie, elles échangent tous les mois avec le continent leurs correspondances et leurs passagers, et combinent déjà les moyens d’obtenir un double service mensuel.

Comprimé dans ses élans, le mouvement commercial de la colonie n’en a pas moins atteint des proportions remarquables : de 33 millions en 1846, il s’est élevé, en 1857, à 65 millions, à peu près le double ; ce chiffre assigne à Bourbon le premier rang dans la hiérarchie commerciale de nos colonies, l’Algérie exceptée, tandis qu’avant l’émancipation, la Martinique et la Guadeloupe le lui disputaient. Proportion gardée des surfaces et des populations, le commerce général de la France devrait s’élever à 16 ou 17 milliards pour égaler celui de La Réunion. Or il atteint à peine 5 milliards : c’est dire ce qu’il y a de vigueur créatrice dans cette petite colonie, dont les habitans passent quelquefois pour être énervés par le climat.

  1. En 1856, la navigation de La Réunion a compté, à l’entrée et à la sortie, 700 navires français jaugeant 236,368 tonneaux, plus 29 navires étrangers.
  2. La faveur publique parait se porter en ce moment sur un projet de port à Saint-Paul même.