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malades ; une population humaine s’y établit dans les conditions les plus douces d’existence, même pour la race blanche. Autour de ces nouveaux hôtes se multiplièrent par leurs soins ou d’elles-mêmes les plantes utiles, et les animaux domestiques pullulèrent avec une merveilleuse fécondité.

Voilà la terre, — un trésor pour la richesse, un paradis pour le charme. Quel contraste avec l’Océan, qui étreint de ses lames furieuses la base de l’île ! Point de ports ni de baies ; pour tout mouillage, des rades foraines toujours fatiguées par une mer houleuse dont la violence implacable lance sur le rivage des bancs de sable et de galets qui s’entre-choquent avec fracas. Pendant tout l’hivernage, c’est-à-dire, en langage africain, au temps des grandes chaleurs et des pluies, de novembre à avril, l’agitation tempétueuse des vagues sème de dangers les abords de l’île : souvent des raz de marée, soulevant la masse liquide jusqu’en ses abîmes, la roulent et la déroulent en nappes immenses qui se brisent contre la plage. Parfois des ouragans, qu’à raison de leur mouvement circulaire la science appelle des cyclones, brisent et engloutissent les navires, et, enveloppant la terre dans leurs fureurs, renversent les maisons, dévastent les cultures, déracinent les arbres, dispersent le sol lui-même à tous les vents. Pendant six mois de l’année, sur les rades, l’inquiétude règne à bord de tous les navires : chaque capitaine étudie le vent, l’œil tour à tour fixé sur le baromètre et sur le ciel, l’oreille attentive au canon d’alarme de la sentinelle qui à terre veille aussi sur le temps. Au premier signal, tout navire prend le large pour échapper au naufrage ou au boulet qui le forcerait de fuir, s’il voulait jouer dans un défi imprudent la vie de l’équipage et la marchandise des armateurs.

Heureusement pour l’humanité, c’est là sa gloire, aucun péril et aucune peur ne la détournèrent jamais de ses voies. L’homme prend racine sur toute terre, même la plus ingrate, et il n’est pas de lieu si désolé qui ne retienne par des attaches mystérieuses quelques familles à ses flancs. À plus forte raison l’homme accourt-il prendre possession de toute contrée qui promet à ses peines une juste récompense, et à ses loisirs quelque agrément : double attrait qui poussa vers Bourbon, à travers la mer inclémente, les enfans de la France. Par eux-mêmes d’abord, bientôt avec le concours de la race noire, ils y ont inauguré l’agriculture, l’industrie, le commerce ; ils ont travaillé, prospéré, joui. Leur société en grandissant s’est consolidée ; en poursuivant sa propre fortune, elle a aidé à celle de la France. C’est ce mouvement de progrès dont il faut indiquer les causes, retracer les diverses phases, sans nous arrêter plus longtemps aux aspects physiques de la contrée, qui ont été décrits ici