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Quoique restreinte à ces humbles limites, l’influence française n’est pourtant pas tout à fait annulée sur ce théâtre de son ancienne gloire. Ainsi la population de l’île Bourbon a profité de la paix pour agrandir ses cultures, pénétrer dans les solitudes de l’intérieur, améliorer son système de ponts et chaussées, attaquer, sinon dompter la mer qui l’assiège. Aux entrepôts et aux marchés de la métropole le commerce local a fourni d’abondantes cargaisons, tout en offrant un important débouché à ses produits manufacturés. Autant que le permet le pacte colonial, des rapports d’affaires ont été noués avec Maurice, l’Inde, l’Afrique. En vain l’émancipation des esclaves a surpris le pays dans cette œuvre de restauration, la vivace énergie de la colonie a bientôt dépassé le niveau des meilleures années d’autrefois : aujourd’hui La Réunion marche en avant de toutes ses rivales. Avec un port que la nature lui a refusé et que l’art n’a pu encore lui donner, avec plus de liberté dans les règlemens économiques et administratifs, elle atteindrait vite la prospérité de Maurice, sa voisine et sa sœur, comme ces îles se plaisent encore à s’appeler en souvenir d’une commune origine : spectacle plein d’attraits et d’enseignemens que ce tableau d’une population de quelques milliers d’âmes jetée sur un îlot de quelques milliers d’hectares, à quatre mille lieues de la métropole, luttant avec une héroïque persévérance contre de terribles ouragans, contre l’isolement, contre l’indifférence de l’esprit public, contre des restrictions légales ! Une telle lutte révèle toute la puissance de l’homme et doit confirmer par un nouvel exemple l’aptitude du génie français à la colonisation.


I. — LA TERRE — LA MER — LA POPULATION BLANCHE, COLOREE, NOIRE — LES IMMIGRANS ASIATIQUES ET AFRICAINS.

À La Réunion, le trait saillant de la condition faite à l’homme par la nature est le contraste des élémens : le sol le plus généreux y est entouré de la mer la plus dangereuse, deux caractères principaux et bien tranchés. Située sous le tropique du Capricorne, entre Maurice, éloigné de trente-cinq lieues, et Madagascar, distant de cent quarante, l’île est formée tout entière par les laves qu’ont vomies deux volcans, l’un depuis longtemps éteint, l’autre brûlant encore. Elle est peu étendue, 232,000 hectares, à peine le tiers d’un département français, mais admirablement variée et fertile. L’ellipse qu’elle décrit offre un contour de 213 kilomètres sur une longueur de 62 kilomètres et une largeur de 44. Elle est coupée en deux, du nord-ouest au sud-est, par une chaîne de montagnes dont les deux versans rappellent, l’un l’Asie avec ses chaudes et enivrantes