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l’homme plus de plaisirs que le sens du goût ? » tel était un soir le sujet fixé pour la discussion dans un débating club de Londres. Un homme renommé dans cette sorte d’escrime, Skilton, devait prendre le dernier la parole, et tout le monde était avide de l’entendre. Quand tous les orateurs eurent parlé pour ou contre, il agita la sonnette et demanda au garçon de lui apporter un verre de punch au whisky bien chaud qu’il but, comme disent les Anglais, avec un grand goût. Se tournant alors vers ceux qui s’étaient prononcés en faveur de l’odorat et tendant le verre vide à l’un d’entre eux : « Maintenant, monsieur, sentez-le, » s’écria-t-il avec une voix de tonnerre. Cet argument si positif rangea l’auditoire tout entier du côté de Skilton et décida la question. Un bon mot tout britannique de Douglas Jerrold eut également un prodigieux succès dans un debating club, qui avait nom l’Eclectic et qui était surtout composé d’avocats. Après un dîner d’anniversaire dont la pièce de consistance avait été ce que les Anglais appellent une selle de mouton[1], Douglas, qui présidait, se leva et dit : « Gentlemen, j’espère que la noble selle que nous venons de manger deviendra pour l’un d’entre vous un coussin de laine. » S’asseoir sur le coussin de laine, woolsack, est le privilège du lord chancelier et comme l’attribut de sa dignité.

Quelques clubs de Londres ont surtout pour spécialité de publier des livres sur divers sujets qu’ils affectionnent. Parmi ces derniers, il n’en est guère de plus original ni de plus intrépide que l’Alpine Club, ou, comme d’autres l’appellent, le club des grimpeurs, Climbing Club. Les membres de cette association ont pour devise excelsior, à qui montera le plus haut. Leur orgueil est de rapporter du sommet des montagnes géantes des échantillons de roches qu’aucun voyageur avant eux n’avait pu atteindre. Il n’y a pas un d’entre eux qui n’ait cent fois manqué de se rompre le cou. Leur vie se passe au milieu des pics, des abîmes béans, des défilés dangereux. Leurs ascensions ont effrayé dans les Alpes les guides et les chasseurs de chamois. Au sommet des plus hautes montagnes, ils sont chez eux, tant ils connaissent avec précision les arêtes, les couloirs, les plateaux, les aiguilles, les crevasses et tous les accidens de ces sauvages et tremblantes assises sur lesquelles l’aigle ose à peine se poser. À leurs pieds se sont maintes fois écroulé des quartiers de roche, des montagnes de neige et de glace : ils s’en moquent ; peu s’en faut même qu’ils ne glissent à cheval sur l’avalanche. Non-seulement ils méprisent le danger, mais ils dédaignent encore ceux qui le craignent. Ils nous regardent, nous autres habitans des vallées et des bas-fonds de la terre, comme des gens qui n’entendent rien à la poésie. Pour eux, tranquilles au milieu des belles horreurs

  1. Morceau du dos découpé avec les reins en forme de selle de cheval.