Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/819

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous ce rapport à l’institution des clubs qui rapproche les membres dans un commerce journalier, les rend en quelque sorte nécessaires l’un à l’autre, et les attache par cet attrait mutuel que le poète irlandais appelle le sourire de la vie. J’avoue bien pourtant qu’on ne rencontre plus dans nos modernes club houses, au milieu d’une atmosphère de luxe, cette cordialité qui caractérisait les bons vieux clubs du dernier siècle. Qu’y faire ? Les temps changent, et les institutions, comme dit Macaulay, « subissent la forme et la pression des temps. » Nos club houses sont les enfans d’un siècle froid, calculateur, passionné pour l’utile. On ne doit point s’attendre à trouver dans ces sociétés permanentes, somptueuses, et en quelque sorte mécaniques, la franche gaieté qui régnait dans les anciens clubs, alors que la réunion ne s’étendait guère au-delà d’un petit cercle d’amis serrés une ou deux fois par mois dans la même taverne, dans la même chambre, et le plus souvent autour de la même table. Pour conserver du moins entre nous une étincelle de cet esprit de convivialité que cultivaient nos pères, quelques membres du club home s’invitent de temps en temps à un dîner commun. Nous écrivons d’avance nos noms sur une liste et le jour du régal. Ce jour venu, nous formons dans une chambre à part une société demi-privée, une sorte de club dans le club. Ces dîners que nous appelons club parlance home diners, et durant lesquels nous nous asseyons autour de la table fraternelle d’acajou au lieu de nous asseoir à la table de marbre froide et solitaire, constituent à mes yeux une sorte de lien entre le système actuel et les associations du temps passé. »

Le régime économique des club houses s’est superposé aux anciennes confréries qui florissaient du temps de Goldsmith et de Johnson ; mais il ne les a point étouffées entièrement. Certains groupes d’individus, ne se sentant ni assez riches ni assez nombreux pour bâtir un monument à leur idée ou à leur goût favori, se contentent encore de cultiver dans des réunions passagères une des branches de la fantaisie. Ces good fellows persistent à se rassembler dans les tavernes. Il y a environ trente-six ans, quelques jeunes gens obscurs, mais riches d’avenir, — c’était alors leur seule richesse, — se réunirent près de Covent-Garden dans une de ces humbles tavernes, le Wrekin, pour lire et converser ensemble. Shakspeare était leur idole, et son esprit le lien de cette petite société. Vers 1824, un jeune Anglais à tête blonde et avec des airs d’écolier fut introduit dans le cénacle : c’était Douglas Jerrold. Le club prit le nom de the Mulberries (les Mûriers), et un livre sur lequel chaque membre devait écrire ses inspirations fut intitulé les Feuilles du Mûrier[1]. Sur la liste des adhérens figurent les noms de William

  1. Allusion à l’arbre que Shakepeare avait, dit-on, planté dans son jardin. Après avoir été visité par une foule de pèlerins, ce mûrier fut abattu, il y a quelques années, au moment où il se mourait de vieillesse, et de son bois l’on fit des tabatières, des boites, etc., qui se vendirent à un haut pris comme reliques littéraires.