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tout me parut mesquin. Mais je parle surtout de la pauvreté de l’esprit : sa bibliothèque ne contenait que trois mille volumes, et nous ne recevions tous les matins que six journaux, parmi lesquels un seul venait de l’étranger. C’était à croire que le monde était mort. Quoique sa fortune fût deux ou trois fois plus considérable que la mienne, je plaignais tout bas la misère de ce riche isolé, qui avait tous les tracas de l’opulence et qui n’en recueillait point les véritables fruits. Quand je revins chez moi, je veux dire au club, je me fis l’effet d’un roi détrôné (out of business) qui, après quelques années d’exil, se retrouverait dans son château. »

Les clubs, on le voit, ont transformé dans ces derniers temps les conditions de la richesse ; ils n’ont point exercé une moindre influence sur la vie et sur la société anglaises. Parmi les changemens heureux qu’ils ont introduits, je signalerai en premier lieu le mélange des rangs et des professions. Ils ont rapproché les distances et renversé les barrières qui s’élevaient entre les divers degrés de l’aristocratie. L’association entre gentlemen de nuances très marquées a effacé, du moins en partie, l’orgueil dans lequel s’isolaient les nobles de la vieille Angleterre. On voit tous les jours se former au sein des club houses des groupes dont les élémens eussent semblé autrefois plus antipathiques que l’huile et l’eau. Un évêque, un humble vicaire de l’église anglicane, un savant, un artiste, un homme de lettres, un industriel, un négociant, un pair du royaume, s’assoient maintenant au même coin du feu, je dirais presque à la même table. Qu’aurait dit de son temps, et il y a de cela seulement une vingtaine d’années, lady Hester Stanhope[1] ? L’idée seule d’une telle confusion des rangs lui eût apparu comme le signe de la plus désastreuse des révolutions sociales. Cette révolution s’arrête, je l’avoue, à une certaine limite, puisque les club houses n’existent guère que pour une certaine classe et se rangent par catégories. Tels qu’ils sont, ces établissemens représentent en miniature la société anglaise : il faut moins y chercher le nivellement que la liberté ; mais une fois admis, le plus humble des membres y jouit de la même indépendance et se donne les mêmes aises que le plus favorisé d’entre tous par la fortune ou la naissance. « Ici, me disait l’un des associés de l’Athenœum, il n’y a pas de rois, quoiqu’il y ait des couronnes, » faisant ainsi allusion aux nombreuses célébrités du club.

En face des avantages, je dois placer les inconvéniens. Quelques

  1. Voyez les mémoires de lady Hester Stanhope : ce sont des conversations qu’elle est censée tenir avec son médecin, et dans lesquelles elle raconte sa vie, la société de son temps, les usages de sa famille. « Il y avait, dit-elle, dans la maison de son père près de cent serviteurs qui avaient chacun leur fonction, leur rang, leur manière d’être. » Elle voulait voir le même ordre et la même hiérarchie régner dans le monde. La Revue a consacré une étude à lady Hester Stanhope dans sa livraison du 1er septembre 1845.