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Le nouveau système économique d’association devait tôt ou tard embrasser une autre famille de clubs qui ont commencé, nous l’avons vu, avec la liberté anglaise ; je parle des clubs politiques. En 1830, le pays s’émut devant cette grande mesure, le reform bill, une ancienne conquête du parti libéral qu’il est aujourd’hui question d’accroître et d’affermir. Les conservateurs alarmés fondèrent cette même année (1830) le Carlton Club, tandis que les chefs du parti avancé se réunirent à Gwydyr house, Whitehall, en attendant que M. Barry leur eût construit dans Pall-Mall un véritable palais sous le nom de Reform Club house. Nés pour ainsi dire le même jour et du même événement politique, les deux établissemens ont continué de vivre l’un à côté de l’autre en frères ennemis. Le Reform Club est la tête du parti libéral de même que le Carlton Club est le quartier-général des tories. Le moment de la journée le plus intéressant pour observer la vie dans les clubs politiques est la nuit durant les séances du parlement. Les nouvelles de ce qui se passe dans le palais de Westminster arrivent comme par des fils électriques dans l’intérieur du club house. Là, ceux des membres qui s’intéressent le plus aux affaires publiques épient jusqu’à une heure avancée le progrès de la discussion et attendent le résultat du vote. Le Reform Club se compose d’hommes de talent qui sympathisent plus ou moins avec les doctrines de MM. Cobden, Bright, Duncombe, Roebuck, Gladstone, Milner Gibson. Cette réunion de quinze cents membres n’a pas été sans influence dans les dernières années sur la marche de l’opinion en Angleterre ; mais les Anglais sont trop bien familiarisés avec la vie publique pour forcer l’action de certains ressorts qui se détendraient en exagérant le caractère des institutions. Le plus grand nombre des membres du Reform Club n’aspirent à jouer aucun rôle dans les événemens qui font ou qui défont les majorités parlementaires. Attirés par une simple confraternité de vues et de sentimens autour d’un foyer d’idées libérales, ils se contentent de jouir entre eux des avantages matériels que leur présente l’association domestique, tout en appuyant d’ailleurs leurs amis au pouvoir ou dans les rangs de l’opposition par des sacrifices d’argent, par leurs moyens d’influence personnelle, quelquefois même par leurs conseils. Filles de la liberté, ces réunions politiques ont puissamment contribué depuis l’origine à fortifier dans la Grande-Bretagne la liberté de parole et d’action. Il ne faut point en effet perdre de vue que les clubs, à quelque opinion qu’ils appartiennent, sont aussi sacrés, aussi inviolables aux yeux de la loi anglaise que le domicile privé. Un peuple assez heureux pour se gouverner lui-même est censé n’intervenir dans ses affaires que pour les améliorer[1].

  1. Une autre réunion d’un caractère plus ou moins politique avait été fondée, il y a quelques années, par les partisans du libre échange sous le nom de Free Trake Club ; mais ce club, dont le nombre des membres était très limité, ne tarda point à s’éteindre.